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l’âme apaisée et contemplative. Action et contemplation, voilà bien les deux aspects, les deux états de l’esprit humain, et le propre ou l’idéal de la symphonie doit être d’en marquer nettement l’alternative et l’antithèse. Mais la netteté, l’ordonnance et l’opposition des plans, l’économie et la logique, tout cela ne se rencontre guère dans les œuvres que nous étudions aujourd’hui, et c’est pour cela que ces œuvres sont d’imparfaites symphonies.

Les compositions dramatiques et lyriques de nos jeunes musiciens nous ont-elles au moins donné plus de joie ? Une seule exceptée, elles ont paru les produits et les signes d’un art terriblement pénible, d’un art surchargé et d’un art maussade. On a fait le plus favorable accueil — et ce fut justice — à quelques pages de M. Pierné. D’aucuns en ont pris ombrage. « Eh quoi, disaient-ils, tant de bruit — car le succès fui bruyant — pour un rien, ou pour si peu de chose ! Pour deux cantiques échangés par nos avant-postes et ceux de l’ennemi dans la plus triste nuit de Noël qui soit jamais descendue sur la terre de France ! » Il est vrai, cette œuvre n’est qu’une esquisse et ne prétend pas davantage. Qu’elle en soit bénie. Qu’elle soit la bienvenue, sobre, délicate et brève, en notre temps d’exagération et d’outrance. Le danger pour elle était dans l’émotion facile, et un peu vulgaire, du mélodrame — je veux dire de la déclamation accompagnée par l’orchestre — et du mélodrame patriotique. Elle y a échappé. M. Pierné l’en a sauvée par la discrétion et la finesse, par l’emploi judicieux de ressources volontairement restreintes. Et qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien le musicien ici, ou la musique, qui a triomphé. C’est elle et non la poésie un peu emphatique du livret ; c’est l’orchestration distinguée, ce sont les violoncelles du début, c’est une exquise combinaison de flûtes et de cloches de Noël, c’est le talent enfin plus que le sujet ou la situation, qui a fait une chose charmante de ce pacifique et pieux intermède d’une nuit de combat.

Et maintenant… Oh ! c’est maintenant que je serais tenté de suivre le conseil donné par le P. Gratry dans les Sources : « Là où vous ne voyez pas, où vous ne sentez pas, n’écrivez pas, taisez-vous. » Quelque chose pourtant est visible, sensible, dans les œuvres qui nous restent à signaler, et ce quelque chose étant un péril, on ne le doit point taire. Il est certain, n’est-ce pas, que la musique de théâtre ou le drame musical ne consiste que dans un double rapport : celui de la parole avec la note et celui de la voix avec l’orchestre. C’est ce rapport que les diverses écoles, aux différens Ages, se flattent de déterminer, chaque fois pour toujours, et que nos jeunes musiciens paraissent en train de gravement altérer. L’équilibre est détruit par eux au profit de l’orchestre autant qu’il put l’être par l’école italienne, en ses plus mauvais jours, au profit de la voix. Nous souffrons de Wagner