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produire lorsqu’un membre du centre, M. de Lasteyrie, a fait remarquer que le gouvernement avait déposé une demande de crédits pour l’entretien de nos troupes à Madagascar. Le gouvernement paraissait avoir oublié ces crédits ; la Chambre s’en est souvenue à propos, et elle a décidé de tenir encore quelques séances qui n’ont pas été sans intérêt. La retraite de M. Berthelot, — n’aurait-il pas été plus adroit de l’ajourner jusqu’après la séparation du parlement ? — avait attiré l’attention sur notre politique extérieure. Pourquoi M. Berthelot avait-il donné sa démission ? Les motifs qu’on présentait ne paraissaient pas sérieux ; il fallait en trouver d’autres, et l’opinion n’a pas tardé à s’établir que des difficultés d’un ordre assez délicat s’étaient produites au dehors. L’affaire d’Egypte avait beaucoup ému. La décision prise par la Commission de la dette, malgré l’opposition des Commissaires français et russes, constituait pour nous un échec, et comme cet échec était facile à prévoir, on reprochait au gouvernement de s’y être exposé avec une véritable étourderie. Son attitude au premier moment témoignait, en effet, de beaucoup d’ignorance ou de beaucoup de légèreté. Une note communiquée aux journaux par M. Bourgeois, note qu’il a fallu désavouer le lendemain, nous faisait prendre vis-à-vis de l’Angleterre une attitude comminatoire que, dans l’isolement relatif où nous nous trouvions, il était difficile de soutenir.

Cet incident n’avait pas une très grande importance en lui-même, mais il donnait une indication fâcheuse sur la hâte inconsidérée avec laquelle notre gouvernement se laissait entraîner à des manifestations plus ou moins déplacées, sans avoir suffisamment réfléchi lui-même, et sans s’être enquis des dispositions des autres puissances, sans en excepter la Russie. Le Sénat s’en est préoccupé. M. Bardoux, au nom des trois principaux groupes républicains de la haute assemblée, a posé à ce sujet une question à M. Bourgeois, devenu ministre des affaires étrangères. Il ne s’est pas borné à l’Egypte ; il a passé rapidement en revue les autres questions qui, en Orient et en Extrême-Orient, nous intéressent d’une manière plus ou moins étroite. Son discours, simple, précis, bien ordonné, prononcé d’ailleurs sur le ton d’une modération parfaite, n’en exprimait pas moins le sentiment que notre influence avait baissé au dehors depuis quelques mois, et que notre situation n’était plus la même qu’au moment où le cabinet radical était arrivé au pouvoir. A Madagascar, — il était impossible de ne pas en dire un mot, — notre politique contradictoire, restée à moitié chemin de la prise de possession et du protectorat, avait créé une situation si confuse qu’elle en était devenue presque inextricable. Qu’allait faire le gouvernement ? Quels étaient ses projets ? Les avait-il définitivement fixés ? Toutes ces questions demandaient des réponses aussi nettes qu’elles l’étaient elles-mêmes. Bien qu’elles eussent été d’avance communiquées par écrit à M. Léon Bourgeois, et que celui-ci eût pris la