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pouvoir du cabinet actuel ? On cherche comment sortir d’une situation qui inquiète et effraie tout le monde, sauf les radicaux et les socialistes qu’une vague odeur de violence et d’inconstitutionnalité a toujours agréablement grisés. Les uns parlent de la dissolution de la Chambre et d’un appel au pays ; les autres de la révision de la constitution et de la suppression ou de l’annulation du Sénat. D’autres encore poursuivent contre l’Elysée une campagne sourde, destinée à éclater tout d’un coup en tempête, sans ménagemens ni merci. Voilà où nous en sommes après cinq mois de ministère radical. Que ce ministère disparaisse, et tout rentrera dans l’ordre. Parmi les solutions proposées, c’est la plus simple, et c’est aussi la seule efficace. Il faut appliquer le remède là où est le mal.

Le bruit a couru, il y a quelques jours, que le cabinet serait remanié. Certains de ses élémens paraissaient décidément trop faibles ou trop compromettans. Le bruit a été démenti, puis confirmé, puis démenti encore. Ce n’était peut-être qu’un bruit d’essai : on voulait savoir comment il serait accueilli. Il l’a été généralement fort mal. Les radicaux ont été d’avis que le système des éliminations successives n’avait jamais profité à un ministère, et à celui-ci moins qu’à tout autre. Si on avait espéré que la retraite de M. Berthelot serait pour ses collègues un allégement de responsabilité et qu’il leur donnerait un renouveau de force, on s’est complètement trompé. Il serait plus dangereux qu’utile de persévérer dans cette voie. Les radicaux demandent qu’on pratique l’épuration dans l’administration, mais non pas dans le gouvernement. Ils tremblent à la pensée que les collègues dont M. Bourgeois se débarrasserait pourraient être ceux qui leur sont le plus chers. Ils professent la solidarité des ministres entre eux : embarqués ensemble, ils doivent continuer la traversée en commun, au risque de chavirer et de sombrer tous à la fois. Cette doctrine est excellente ; ce n’est que nous qui la combattrons. Nous ne verrions pas un remaniement ministériel de meilleur œil que les radicaux. Il faut que chacun soit ce qu’il est. Le ministère actuel, s’il n’a pas d’autre mérite, a du moins celui de ne pas tromper son monde, et nous déplorerions qu’il le perdît. Dans l’état où il est parvenu, après les coups qu’il a reçus et qui l’ont si profondément ébranlé, secoué et endolori, il supporterait d’ailleurs très difficilement une ou plusieurs amputations. Les greffes nouvelles n’y prendraient pas. Il doit rester tel qu’il est jusqu’au jour où il jugera à propos de disparaître, puisqu’il semble établi que lui seul est juge de cette opportunité. Ce jour, bon gré mal gré, ne saurait plus se faire attendre longtemps.

Après la grande bataille parlementaire de l’impôt sur le revenu, la session d’hiver semblait finie, et elle a failli être close par surprise. Les radicaux, profitant de la lassitude générale, avaient demandé que la Chambre se mît en congé jusqu’au 19 mai : le vote allait se