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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/103

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sautillantes et qu’on représente des ballets. Et comment l’humanité doit-elle parvenir au salut ? En exécutant le drame musical de l’avenir. »

Sourions, mais avec mélancolie, comme on sourit de trop beaux rêves. Hélas ! il ne faut pas se promettre, encore moins promettre à la foule un état, une vie sociale dont l’art serait la fonction la plus haute. Cette vie, l’humanité jamais ne la vivra. Il est possible que la connaissance artistique soit le mode supérieur de la connaissance, mais à cette supériorité combien d’entre nous jamais s’élèveront ? Des « temples sereins » du poète, du savant, de l’artiste, qui fera notre commune demeure ? Ici encore nous pourrions en appeler de Wagner à Wagner, et de ses radieuses visions à sa clairvoyance attristée. N’a-t-il pas écrit dans Opéra et Drame : « Personne ne peut être aussi convaincu que moi-même de cette vérité, que la réalisation du drame tel que je le conçois dépend de conditions qui la rendent actuellement impossible, non seulement à moi, mais à une volonté et à des aptitudes infiniment supérieures aux miennes. Elle dépend d’un état social, et par suite d’une collaboration collective qui sont exacte-mont à l’opposé de ce que nous avons à présent[1]. » — Aurons-nous jamais autre chose ? Il est permis de ne le point affirmer. Et quand bien même l’idéal esthétique de Wagner se réaliserait pleinement un jour, on garde le droit de se demander encore si ce jour-là serait le premier de l’universelle félicité.

De ces généreuses doctrines et de ces imaginations grandioses, il faut du moins retenir un principe : celui de l’obligation, du devoir social de l’art. L’art ne sera jamais tout pour le peuple ; mais il peut, il doit être quelque chose, et de plus en plus il faudrait qu’il le devînt. Dans l’ordre de la joie ou seulement de la vie esthétique, il y a peu d’élus ; que du moins il y ait beaucoup d’appelés. Un jeune prêtre disait généreusement l’année dernière à de jeunes auditeurs : « Il est tant de plaies sociales qui demandent des mains, même des mains d’écrivains et d’artistes, pour les panser… » Et il ajoutait : « En multipliant la beauté, en donnant au monde des humbles le sens de la sincère beauté, vous lui aurez fait la plus exquise et peut-être la plus utile des charités[2]. » Puisque, nous l’avons vu, la beauté musicale est plus sociologique que toute autre, plus que toute autre elle peut être charitable. Que partout elle le soit et pour tous. Pour l’enfant d’abord. Qu’une part soit faite à la musique dans l’éducation du peuple. Un concours ouvert il y a quelques mois par le service de

  1. Cité par M. H. -S. Chamberlain, op. cit.
  2. M. l’abbé Pierre Vignot, la Vie pour les autres. (Conférences.)