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de plus, de nom et de traditions, les regrets excités par la fin prématurée de l’héritier présomptif de la couronne n’auraient guère laissé de place au deuil pour cet octogénaire, pour ce transfuge de l’anglicanisme, pour ce chef du catholicisme anglais. Ses funérailles n’en eurent pas moins le caractère imposant, sublime, unique, d’une grande démonstration populaire. Ce fut tout un peuple, — le peuple du travail, de la misère et de la souffrance, — qui se leva pour pleurer un héros de la charité.

Voilà, assurément, un spectacle auquel on ne se fût guère attendu dans l’Angleterre de la dernière décade du dix-neuvième siècle. Nul n’avait, comme le premier de ces princes d’une église dont l’Angleterre a déserté la communion depuis trois cent cinquante ans, souffleté la raison orgueilleuse ; flétri le matérialisme pratique ; dédaigné ou plutôt ignoré ces progrès tant vantés, ces fameuses inventions mécaniques, ces prétendues conquêtes de la science, dont l’admiration béate forme presque toute la religion de beaucoup de nos contemporains. Nul, comme le cardinal Planning, n’avait donné de scandale à cet anglicanisme dont il avait été jadis la colonne et l’espoir, à ce libéralisme vulgaire qui ne voit d’ennemi que dans l’Eglise et de liberté que dans l’oppression des consciences, à ce cléricalisme gourmé dont il s’était affranchi par la puissance même de ses convictions religieuses et ecclésiastiques, à cette orthodoxie économique enfin dont les lieux communs sont si commodes à l’égoïsme de certaines classes et dont il avait semblé souvent prendre plaisir à violer toutes les lois et à contester tous les principes. Et ce n’est pas tout. Tous deux, ces rénovateurs du catholicisme étaient sortis du protestantisme, dont ils avaient déchiré le sein. La première moitié de leur vie, à l’un comme à l’autre, avait été consacrée au service de l’Eglise anglicane, dans les rangs de son clergé. Tous deux, bien qu’à des degrés différens, ils avaient été chefs de parti : ils avaient combattu pour l’église de leurs pères, contre Home et ses prétentions. Ils avaient arrêté des âmes sur la pente de la désertion et de la soumission à l’autorité du vicaire de Jésus-Christ. C’était l’un d’entre eux qui avait inauguré et dirigé pendant douze ans ce grand mouvement anglo-catholique, dont le second recueillit pour quelque temps le commandement des mains infidèles du général en chef quand celui-ci passa à l’ennemi en 1845. C’est eux qui avaient fait jaillir ce grand courant, dont le flot finit par les jeter malgré eux sur la rive opposée, mais non sans avoir fécondé le sol jusque-là un peu stérile et ingrat de l’anglicanisme et y avoir fait germer toute une moisson de piété, de vie spirituelle, d’œuvres de charité.

On le voit, par un de ces élans qui délient le calcul et