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confondent la raison, l’Angleterre, après tout protestante, anglicane et surtout antipapistes, a célébré et honoré en ces deux hommes deux des plus grands ennemis de ces compromis qui lui sont chers en religion comme en politique, deux révolutionnaires résolus à renverser au nom de l’absolu ce régime du juste milieu ecclésiastique auquel elle porte tant d’attachement. L’histoire de ces deux vies peut seule expliquer ce paradoxe apparent. A vrai dire, ces biographies, si l’on y joint celle de Pusey et de quelques autres personnages du second plan, font proprement toute l’histoire de l’anglo-catholicisme.

Je n’ai point la prétention de l’écrire ici. Je ne saurais aujourd’hui que tracer une esquisse rapide d’un sujet qui, comme le jansénisme du XVIIe siècle, demanderait, pour être traité comme il le mérite, l’érudition consciencieuse, la psychologie délicate, la méthode incomparable de Sainte-Beuve dans son Port-Royal. Grand souvenir, périlleuse analogie, qui s’impose d’elle-même à qui a un peu approfondi l’étude de ce grand mouvement religieux qui traverse l’histoire de l’Angleterre contemporaine comme le mouvement janséniste traverse l’histoire de la France de Louis XIII et de Louis XIV ! Oui, cette agitation, inaugurée par quelques jeunes membres du clergé universitaire et paroissial, sans autre quartier général que la salle commune des Fellows ou agrégés du collège d’Oriel, sans autre chef qu’un jeune prêtre obscur dont le génie ne s’était pas encore révélé à lui-même et qui s’était à peine dégagé des liens étroits du protestantisme dit évangélique, a produit, j’ose le dire, dans la religion et la société anglaises, une révolution qui n’est pas moins étendue ni moins profonde que celle qu’opérait à la même heure dans le corps politique la grande réforme parlementaire. Il est radicalement impossible, sans une vue un peu exacte de l’anglo-catholicisme, de prendre une juste idée de l’Angleterre moderne : j’entends de l’Angleterre politique, sociale, littéraire, tout autant que de l’Angleterre religieuse, ecclésiastique et morale. Si l’on dit à juste titre : Il y a une Angleterre d’avant, une Angleterre d’après le Reform Act de 1832, on peut et on doit dire : Il y a une Angleterre d’avant, d’après les Tracts for the Times. Le fameux sermon d’assises de Keble, la condamnation du Tract n° 90, la censure de Ward, la conversion de Newman, celle de Manning, sont des dates non seulement dans l’histoire du mouvement d’Oxford, mais dans celle de l’Angleterre au XIXe siècle.

C’est ce qui explique pourquoi le public anglais ne peut se lasser d’entendre parler de ce drame de la conscience religieuse. Depuis le jour déjà lointain où Newman, pour repousser les grossières insinuations de Kingsley, écrivit l’Apologia pro vila sua,