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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/172

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Si me lessiez prendre proie en vo pasture.
— « Chevaliers, se Deus vos voie,
Puis que prendre volez proie,
En plus haut lieu la prenez que ne seroie :
Quar petit gaaigneriez et g’i perdroie. »


Parfois elle feint de se rendre, mais par quelque ruse s’enfuit d. salices t de loin, hors de péril, raille le maladroit ; ou bien elle appelle les bergers à la rescousse, et le chevalier reprend, moitié marri, moitié riant, sa chevauchée.

Dans tout un cycle de pastourelles, le poète n’est plus l’acteur, mais seulement le témoin de divers incidens de la vie champêtre : dépits et querelles d’amour, jalousie de Robin qui épie, caché dans un buisson, si Marion éconduira son rival, petites scènes campagnardes où Marion, Perrinette, Doette, Guiot, Elaine, se provoquent à la danse, mènent la tresque, jouent du chalumeau, cherchent le mai, élisent un roi pour leurs jeux. Telle de ces piécettes fait vaguement songer à l’Anthologie : six pastoureaux et pastourelles dansent, couronnés de fleurs de prêle ; à la fin le roi du jeu leur distribue des prix : une tourterelle à Heluis pour avoir le mieux chanté, une ceinture à Béatrice, et des fruits à Gui, le joueur de musette. D’autres au contraire montrent une intention réaliste, plaisante au milieu de ces descriptions si élégamment fausses de la vie paysanne.

Tels sont les petits genres : reverdies, chansons à personnages, pastourelles, qui semblent directement sortis des fêtes de mai.


IV

J’ai bien conscience d’avoir trahi parfois et comme amenuisé la théorie que j’exposais. Sous la forme qu’elle vient de recevoir, elle se réduit à ceci : Un peu avant 1150, se développe dans les cours chevaleresques un certain goût de poésie pastorale ; les fêtes du printemps, célébrées à la fois par les vilains et les seigneurs, les chansons de maieroles et de danse en sont à la fois le ferment et l’aliment. De nobles poètes s’amusent à exploiter ces thèmes : ainsi ont procédé, presque en tout temps, les poètes bucoliques. C’est un jeu aristocratique, c’est une mode de société, ou, — si l’on ne craint pas l’anachronisme du terme — une mode de salon. Elle crée ce que peut créer une mode de salon, c’est-à-dire simplement, comme aux temps de Fontenelle ou de Florian, les petits genres pastoraux dont on vient de sentir à la fois l’élégance et la mignardise.