Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
POESIE

LA PLIEUSE


Vieille fille sans avoir,
Elle manie au lavoir
Tout le jour son lourd battoir
Et chante même, oublieuse
De son métier de la nuit ;
Mais dès que le soleil fuit,
La lavandière est Plieuse.

Plieuse du linge blanc
Qu’elle rapporte en tremblant,
Sur la tête ou sur le flanc,
De la lointaine rivière ?
Non ; la Plieuse des morts
Dont il faut coudre le corps
Dans la chemise dernière…

L’angélus tinte au clocher.
Les vivans vont se coucher ;
Le Mort, qu’on n’ose toucher,
Dans sa rigide posture
Attend une douce main
Qui lui mette pour demain
Son habit de sépulture.

La Plieuse sort sans bruit,
Et, sous la lune qui luit,
Seule son ombre la suit…