paroles flatteuses et des sourires. « Jamais femme, a-t-on dit de lui, n’eut plus d’art pour faire vouloir, pour faire consentir à ce qu’elle désirait. » Cependant Caulaincourt ne consentait pas ; il s’obstinait à répéter « que la campagne qui se préparait serait un malheur pour la France, un sujet de regret et d’embarras pour l’empereur. »
Quelques mois après, la Grande Armée avait traversé l’Allemagne, atteint la frontière russe, et un fusilier au 6e régiment de la garde écrivait à ses parens : « Nous entrerons d’abord en Russie où nous devons nous taper un peu pour avoir le passage pour aller plus avant… Nous les aurons bientôt arrangés à la blanche sauce ! Quand il n’y aurait que nous, c’est assez. Ah ! mon père, il y a une fameuse préparation de guerre… mais nous ne savons pas si c’est pour la Russie. L’un dit que c’est pour aller aux Grandes-Indes, l’autre dit que c’est pour aller en Egippe, on ne sait pas lequel croire. Pour moi, cela m’est bien égal, je voudrais que nous irions à la fin du monde. »
En attendant de conduire aux Grandes-Indes ses alouettes gauloises et les Polonais, les Allemands, les Lombards, les Napolitains, les Espagnols, les Dalmates et les Croates qui leur tenaient compagnie, Napoléon faisait un jour une reconnaissance sur les bords du Niémen, quand, effrayé par un lièvre, son cheval fit un écart et le désarçonna. Il avait ses superstitions. Le soir, il manda le duc de Vicence, et s’informa si le quartier général s’était ému de l’accident du matin. Puis, il le questionna longuement sur le pays, l’état des routes, les habitans : « Pensez-vous que les Russes me livrent Wilna sans risquer une bataille ? » Le duc de Vicence répliqua qu’il ne croyait point à des batailles rangées, que le terrain n’était pas assez rare en Russie pour qu’on ne nous en cédât pas beaucoup. « Quelle honte, pour Alexandre, s’écria l’empereur, de perdre la Pologne sans combat ! » Il ajouta « qu’une retraite ne sauverait pas les Russes, qu’il allait tomber sur eux comme la foudre, prendre à coup sûr leur artillerie et leurs équipages, probablement des corps entiers. » Et comme le duc de Vicence se taisait, il le somma de s’expliquer, et le duc de Vicence lui répéta une fois de plus « que le tsar se retirerait au Kamtchatka plutôt que de céder des provinces et de signer une paix précaire. »
Un peu plus tard, Napoléon avait pris Wilna. Ce fut là que le 1er juillet il reçut Balachof, l’un des aides de camp du tsar, chargé par son maître de lui porter les dernières paroles de paix. Cette ambassade n’était dans l’esprit d’Alexandre qu’une simple formalité, dont il n’espérait rien ; mais pour se concilier l’Europe, il tenait à mettre les formes de son côté. Napoléon retient Balachof à dîner, et entre la poire et le fromage, il lui dit brusquement : « Quel est le chemin de Moscou ? — Sire, repartit le Russe, on prend le chemin de Moscou à volonté. Charles XII l’avait pris par Pultawa. »
Cette réplique avait-elle irrité l’empereur ? Quand on fut sorti de