Nous avions, il y a quinze jours, un ministère Bourgeois et nous avons aujourd’hui un ministère Méline. C’est un changement considérable, mais non pas imprévu. S’il fallait s’étonner de quelque chose, ce serait de ce qu’un ministère radical socialiste ait pu durer cinq mois : il est vrai que, pendant les premiers temps, tout le monde, ou presque tout le monde mettait une sorte de complaisance à le laisser vivre. On lui a permis de faire beaucoup de mal avant qu’on eût l’air de s’en apercevoir, et ce mal ne sera pas facilement réparable. Son existence a d’ailleurs été tout artificielle, et il est mort comme nous avions annoncé qu’il mourrait, c’est-à-dire d’une impossibilité de vivre bien et dûment constatée. Lorsque les vacances parlementaires ont commencé, il était déjà à bout de forces ; tout le monde annonçait sa fin prochaine. Cependant il a pu croire que quelques semaines de grâce et de répit s’ouvraient pour lui. La Chambre avait remis sa première séance au 19 mai ; il est vrai que le Sénat ne s’était ajourné que pour très peu de jours et qu’il devait reprendre sa session le 21 avril ; mais le Sénat oserait-il, en l’absence de la Chambre des députés, reprendre la lutte et la pousser jusqu’au bout ? Les radicaux en doutaient ; les socialistes le niaient. Leurs journaux mettaient le Sénat au défi d’assumer une responsabilité qu’ils jugeaient aussi lourde. Ils employaient contre lui tous les procédés d’intimidation, la menace directe, l’injure, le dédain même, hautement affichés. Mal leur en a pris. Lorsque de pareils moyens ne réussissent pas, ils produisent l’effet diamétralement contraire à celui qu’ils se proposent. Les radicaux, aussi bien ceux qui composaient le ministère que ceux qui bataillaient en dehors de lui, n’ont rien compris au tempérament particulier du Sénat. Quelques concessions, quelques égards surtout, l’auraient peut-être désarmé. Que demandait-il au début ? Qu’on lui sacrifiât M. Ricard. Était-ce vraiment un sacrifice si difficile à faire ? M. le Garde des Sceaux ne s’était-il pas mis évidemment dans son tort par l’étrange désinvolture avec laquelle il avait dépossédé un juge d’instruction sans motif avouable ? L’indépendance de la magistrature n’était-elle pas d’un prix aussi élevé que pouvait l’être le maintien de M. Ricard dans le cabinet ? M. Bourgeois en a jugé autrement, et, à partir de ce jour, il s’est condamné lui-même à ne plus tenir aucun compte des