écartant du gouvernement tout parti suspect de complaisance à leur égard, condamnerait peut-être, pour les mieux combattre, la République elle-même. En poussant trop loin leur succès, ils couraient risque de tout perdre, et ce jour leur avait donné tout ce qu’ils avaient chance d’obtenir.
L’élan de l’émeute s’était donc brisé sur les marches du Corps législatif. Parmi les meneurs, les uns s’attardèrent au Palais-Bourbon pour jouir de leur victoire et veiller sur elle ; les plus politiques, Blanqui, Delescluze, Millière et Félix Pyat, qui apparaissait toujours, comme l’arc-en-ciel, à la fin de l’orage, partirent pour l’Hôtel de Ville, mais à peine suivis de quelques sectaires. Sur la place qui précède l’édifice, le peuple les avait devancés. Les portes étaient closes, et aussi la grille qui formait barrière en avant de la façade. Entre cette grille et le palais, deux compagnies d’infanterie étaient en ligne, l’arme au pied. Les démagogues survenus s’essayèrent à ameuter la foule contre les soldats, à faire honte au peuple qu’il restât à la porte de sa maison. Mais leur puissance, accoutumée aux ténèbres, se trouvait comme aveuglée par le grand jour ; ni leurs personnes inconnues, ni leurs noms redoutés n’avaient prise sur la masse du peuple. Celui-ci battait de son flot, mais sans violence, la faible barrière qui le séparait de la troupe. Manifestans et soldats attendaient dans une trêve tacite qu’une autorité parût et commandât, les uns pour lui ouvrir passage et les autres pour la suivre.
Gambetta arrivait sur la place. La voie plus courte et moins encombrée de la rive gauche l’avait amené plus vite que Jules Favre. Son nom, son visage, son altitude assurée, disaient à la foule que celui-là était l’homme attendu par elle. Dès que, parvenu à la grille, il se fut nommé aux troupes, elles lui livrèrent accès. Il entra par cette porte au-dessus de laquelle l’image équestre de Henri IV semble placée pour rappeler, et a si vainement rappelé aux envahisseurs successifs les vertus nécessaires à la conquête, à l’exercice et à la durée du pouvoir.
Sur les pas du chef la foule s’était précipitée. Elle n’envahit pas tout l’édifice. Au rez-de-chaussée les cours intérieures, les corps de garde, les magasins, les bureaux divisaient l’espace en un dédale où rien n’était à la taille de la multitude : ils formaient, avec les combles du palais, le domaine des services étrangers à la politique, utiles à tout le monde, et qui perpétuent à travers toutes les révolutions la vie régulière de la cité. C’est au premier