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plus rigide et la structure philosophique de son esprit à considérer que le caprice des événemens n’enlève rien à l’impératif des principes, prenait parti après avoir regardé en lui plus qu’autour de lui, homme à embrasser une cause désespérée s’il la trouvait juste. L’un mettait son honneur à ne pas se tromper sur le succès, l’autre à ne pas se tromper sur le devoir. Thiers avait vu qu’à rapprocher la légalité vaincue et la révolution victorieuse il deviendrait suspect à toutes deux ; que, pour soutenir le Parlement de l’Empire contre la révolution, il ne se trouverait à Paris ni garde nationale, ni police, ni troupes. Trochu pensa que la prétention de ce Parlement à demeurer le pouvoir légitime était contestable et que se sacrifier à cette cause serait avoir, au lieu du respect, la superstition de la légalité. Thiers conclut que le Corps législatif contre la révolution n’était pas la force, Trochu qu’il n’était pas le droit.

Tous deux avaient raison, et le Corps législatif n’était pas la force précisément parce qu’il n’était pas le droit. L’autorité des pouvoirs électifs se mesure a la valeur du mandat qu’ils ont reçu. Pour qu’une assemblée soit vraiment la loi, c’est-à-dire l’expression de la volonté générale, il faut qu’elle ait été formée par le libre suffrage d’un pays. Formé par les pratiques de la candidature officielle, le Corps législatif ne représentait pas la volonté de la France, mais la volonté de l’Empereur. La déchéance de celui-ci détruisait donc le titre même de l’Assemblée à ordonner et à être. Elle n’était pas un pouvoir distinct, fait pour survivre comme la nation elle-même au sort des souverains ; elle était inséparable du prince comme l’ombre du corps, et disparaissait dans la même chute. Le nom de Napoléon avait suffi à la former, le nom de l’empereur suffirait maintenant à la détruire ; l’Empire, pour avoir dénaturé les institutions de l’indépendance politique en instrumens de dictature, avait travaillé contre lui-même, et rien ne lui pouvait survivre de ses œuvres parce qu’en toutes il n’y avait que lui. Voilà ce que comprenait l’instinct populaire. L’abandon subit et universel qui se fit autour du Corps législatif n’était pas seulement l’indifférence coutumière des peuples pour le droit malheureux, c’était l’accomplissement d’une loi morale, et le châtiment suprême du pouvoir absolu.


IV

Mais s’il était permis de ne pas respecter le Corps législatif et sa légalité suspecte, c’était à la condition de lui substituer une représentation plus incontestable de la volonté nationale.