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Infime minorité d’une Assemblée déchue, mandataires d’une seule ville, chefs d’une émeute, les hommes du 4 septembre n’avaient pas mandat de la France. Désignés par leur popularité pour gérer un interrègne et empêcher qu’il devînt une anarchie, ils devaient toute cette popularité à leurs combats pour les droits de la nation. Même aux jours des succès et malgré les tendances démocratiques de l’Empire, ils avaient condamné ce régime à cause de son origine. Ils avaient établi, comme le fondement de tout ordre dans l’Etat, qu’un peuple a des serviteurs, non des maîtres, doit les désigner, non les subir ; et dix-huit années ils avaient fait asseoir aux côtés de Macbeth tout-puissant le spectre du droit assassiné. Personne ne s’était par des leçons plus implacables tracé plus impérieusement son devoir. Le coup d’État d’une foule ne pouvait pas plus fonder le droit que le coup d’État d’un prince. Ces hommes au pouvoir n’étaient rien s’ils n’étaient qu’eux-mêmes : ils n’avaient le droit d’en chasser l’Empire et d’y prévenir la démagogie qu’au nom de la volonté publique. Pour la connaître il fallait lui donner la parole, car leur succès les mettait en cette situation où la seule manière de rester fidèle à ses doctrines est de les pratiquer. Et si vraiment ils pensaient que cette volonté commune et publiquement constatée est le réservoir inépuisable et incorruptible des énergies latentes et des actes sauveurs, jamais ces secours avaient-ils été plus nécessaires ? La France était condamnée à l’extraordinaire dans l’abaissement ou dans l’effort. Seule elle avait le droit de se résigner à sa défaite, et ce n’était pas trop de tous pour changer sa fortune. Outre que le sang et l’or à verser étaient à elle, si elle voulait répondre aux défis du sort par un grand élan d’héroïsme, rien comme la vision de son unanimité n’était capable de susciter les idées et les hommes qui délivrent. Cette représentation régulière du pays n’était pas moins utile pour chercher en Europe des alliances ou une médiation. Enfin la France dût-elle demeurer seule en face de son ennemi, ce gouvernement légal était nécessaire pour se tenir à portée des opportunités passagères qu’offre la plus mauvaise fortune, mettre à profit, à défaut de générosité, la lassitude ou les embarras du vainqueur, et enfin, si le moment arrivait où la continuation de la lutte n’amènerait plus qu’une aggravation de désastres, signer la paix.

Une grande leçon de moralité eût été donnée au [monde, un bel acte de logique, de conscience, et de sagesse eût honoré les hommes du i septembre s’ils n’avaient saisi le pouvoir échappant à l’Empire et prêt à tomber aux mains de la démagogie, que pour le rendre à la France, et si le premier acte de leur gouvernement l’avait appelée à des élections immédiates.