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les pensées dues à la défense, comme si les élections n’eussent pas été la défense, ils tenaient à garder au moins pour le premier assaut l’honneur de la première place, et se flattaient que peut-être ils suffiraient à changer le destin. Ensuite ils n’étaient pas sans incertitudes sur les institutions intérieures que choisirait la France. Ils avaient peur des attachemens et des dépravations laissées dans ce peuple par l’Empire. Les plus respectueux pour la souveraineté nationale pensaient que cette souveraineté pour s’exercer avec plénitude, permanence, et dans l’intérêt de la démocratie, avait besoin de la République. Un extraordinaire concours d’événemens les faisait dépositaires de ce régime ; ils auraient pris pour un excès de naïveté une hâte qui livrerait à l’inconnu d’un vote immédiat l’avenir. Ils voulaient quelque temps pour débarrasser le suffrage des influences qui l’avaient asservi plaider auprès de lui leur cause, et s’assurer de sa réponse avant d’interroger sa volonté.

De véritables hommes d’Etat n’auraient eu ces doutes ni sur le courage, ni sur les affections de la France. Partout à ce moment elle était résolue à la lutte, elle eût choisi des mandataires animés de l’énergie et de l’espérance qu’elle avait alors, et une telle assemblée les aurait soutenus. Pas davantage l’autorité de l’Empire n’avait-elle survécu à Sedan. Un peuple sensible à l’honneur, ne sait plus se soumettre aux pouvoirs dont il a rougi. Les suffrages auraient été, comme ils allèrent quelques mois après, aux adversaires de l’Empire, seuls innocens du mal accompli ; et parmi eux les républicains, poussés par la logique de la démocratie, et parvenus, par le bénéfice du 4 septembre, au gouvernement de fait, avaient le plus de chances.

Cette intelligence du droit national et de l’intérêt républicain n’apparut à aucun des hommes qui avaient pris la responsabilité de l’avenir, quand, à dix heures et demie du soir, le gouvernement nouveau tint dans l’Hôtel de Ville son premier conseil. Durant les quatre heures qu’il dura, l’unique affaire fut la distribution des emplois. Sans doute, et dût-on remettre sans délai le pouvoir au pays, quelques-uns devaient être pourvus : il n’y avait pas une heure à perdre pour organiser la défense, approvisionner Paris, engager les crédits nécessaires, et, même avant de consulter la France, il était légitime de la délivrer, en changeant les fonctionnaires qui avaient pesé sur elle et qui, maintenus, auraient paru perpétuer l’Empire. L’on ne s’en tint pas à ces mesures indispensables et transitoires, on s’occupa de donner des chefs à tous les services publics, comme si l’on avait hâte de cacher la précarité du régime sous les apparences d’un gouvernement régulier.

Le premier ministère pourvu fut celui de l’Intérieur, il fut