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de contraire à la réalité dans ses affirmations fondamentales. Il ne s’agissait plus de savoir théoriquement si une Eglise qui possède — ou qui revendique — une partie des attributs surnaturels de l’Eglise idéale, a le droit, en bonne logique, de répudier les autres. Il s’agissait pour Newman de fermer les yeux à l’évidence des faits ou d’en tirer les conséquences inéluctables.

En dépit de la propagation presque miraculeuse de ses doctrines, ou plutôt en raison de cette diffusion même qui provoquait des conflits et faisait surgir des oppositions, Newman dut constater que l’anglicanisme ne possédait pas les signes distinctifs de l’Eglise de Dieu. Ces fictions d’un témoin inspiré de la révélation, d’un dépositaire inviolable du dogme, d’un administrateur fidèle des sacremens, d’un épiscopat dans la ligne directe de la succession apostolique, de quel front les maintenir quand tous les faits les démentent ; quand l’Eglise anglicane subit et accepte la nomination d’un hérétique — Hampden — comme professeur royal en théologie ; quand elle ne se met en mouvement que pour condamner la régénération baptismale, trop rigoureusement prêchée par Pusey, on le système d’interprétation trop catholique du Tract n° 90, ou l’impétueux Ward et son Église idéale ; quand l’épiscopat livre au pouvoir civil les clefs de la citadelle, ne retrouve d’énergie que pour tirer sur ses propres troupes et sévir contre les fidèles trop zélés ?

Dès lors, c’est lui-même qui l’a dit, Newman est sur son lit de mort. Cinq ans encore il prolonge son agonie ; il se roidit contre l’appel qui le pousse aux pieds du vicaire de Jésus-Christ. Ses vieux instincts, son éducation, la douleur de renverser lui-même l’œuvre de sa vie, le chagrin de justifier en apparence par un acte suprême les odieuses calomnies qui l’ont accusé de masquer jésuitiquement son vrai dessein et de faire délibérément, avec préméditation, les affaires du catholicisme, les liens de la famille, île l’amitié, la crainte de scandaliser des cœurs fidèles, des esprits dociles, le souvenir des grâces reçues dans la communion de l’Eglise anglicane, cette piété filiale qui ne s’éteint pas en un jour, même quand on a appris que la mère qui vous a porté dans ses bras n’est pas votre vraie mère, tous ces sentimens ensemble bouillonnaient en lui, le torturaient, le retenaient.

Pour justifier à ses propres yeux cette résistance obstinée, il se réfugia dans les partis pris les plus désespérés, dans les expédiens les plus subtils, les plus sophistiques même. Un temps, il trouva quelque soulagement dans la théorie mystique de la Captivité de Babylone ; à ses yeux, l’Eglise anglicane était malade, esclave du pouvoir civil, en proie à l’erreur ; le devoir de ceux