changemens, — dont il n’y a pas tant lieu de s’enorgueillir, puisque les meilleurs se font presque toujours inconsciemment, et que l’on n’est même pas libre de ne pas les y apporter, — changemens qui peuvent modifier un peu l’aspect des produits, mais qui ne sauraient beaucoup en changer l’intime nature. La différence la plus considérable que l’on puisse remarquer entre notre temps et le passé, ce serait surtout la rapidité plus grande avec laquelle les générations littéraires se succèdent et se mêlent aujourd’hui les unes aux autres. Et c’en est une preuve, parmi d’autres, que de voirie renouveau littéraire allemand après avoir commencé il y a une quinzaine d’années par un appel au réalisme le plus cru et le plus élémentaire, en être arrivé déjà à des essais, peu nombreux encore, mais caractéristiques, d’art anti-réaliste au suprême degré.
Si le choix des noms de poètes à donner comme exemples a pu m’offrir parfois quelques difficultés pour les groupes dont je viens de parler, l’embarras devient ici encore bien plus réel, quoique le nombre des écrivains entre qui il faut choisir soit beaucoup moins grand ; mais ces tentatives symbolistes étant plus récentes, le temps n’a pas encore pu y opérer le tassement qu’il a déjà fait un peu par ailleurs. Je restreindrai donc mes exemples à ce qui me sera strictement nécessaire pour montrer les deux principales nuances, contradictoires l’une à l’autre, que j’ai observées dans cette nouvelle poésie symboliste.
Comme le fait d’ordinaire toute réaction, le symbolisme allemand commença, lui aussi, par aller à l’extrême dans son opposition au réalisme. Celui-ci ne voulait connaître que des objets et des faits : les poètes qui se révoltaient contre lui déclarèrent que rien ne comptait plus hors la fantaisie, ou plutôt hors le fantastique. Par exemple, M. Paul Scheerbart, dans un poème publié il y a deux ans au Moderne Almanach des Muses, écrit les strophes suivantes : « Laissez la terre, quittez la terre ! Laissez-la gésir, et qu’elle pourrisse ! Au-dessus de-prairies de velours noir, planent de beaux anges empourprés, et leurs boucles d’or écarlate luisent, dans le ciel vert de mon univers. Laissez la terre, quittez la terre ! Laissez-la dormir, et qu’elle pourrisse ! Sur de blanches coupoles d’ambre, voltigent de bleues tourterelles ; leurs ailes de saphir scintillent, dans le ciel vert de mon univers. Laissez la terre, quittez la terre ! Laissez-la, laissez-la, et qu’elle pourrisse ! Sur des eaux d’or tout écumantes, jouent de tendres poissons d’argent ; et leurs longues nageoires tremblent, dans le ciel vert de mon univers. Haine à la terre ! Haine à la terre ! »
L’auteur de ces vers ne s’en est sans doute jamais aperçu que tout ce qu’il peut imaginer, pour se créer un monde en dehors