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de cette terre qu’il voue à notre haine ne peut qu’être malgré tout emprunté aux éléments que lui fournit cette même terre. Et il n’est pas prouvé que si M. Seheerbart pouvait vivre dans « son univers », qui somme toute ne diffère guère du nôtre que par le bouleversement des colorations, il ne finirait pas bientôt par s’en lasser, peut-être encore plus vite qu’il ne s’est lassé des couleurs et de la vie de notre pauvre petite terre. Mais j’adresse là au poète une critique trop facile ; car il est évident que si nous ne pouvons imaginer de mondes vraiment nouveaux, nous pouvons tout au moins former des rêves constamment renouvelés sur l’univers, et il n’y a pas de raison pour que ces rêves ne soient pas du domaine de l’art. Mais ils ne pourront en être précisément que dans la mesure où ils se rattacheront à la terre, à l’humanité, et où l’on sentira passer en eux le frisson humain dont ils sont l’expression. Il faut qu’on y sente vibrer encore, directement ou par suggestion, le sentiment d’où ils sont nés, espoir, amour, foi, extase ou angoisse, souffrance ou félicité : tout ce que l’on voudra, mais il faut que ce soit tout plongé dans de l’humanité, et que cela en reste tout pénétré ; sinon, ce ne sera plus qu’un jeu puéril de mots et d’images, un vain kaléidoscope qui lassera vite l’attention. On ne saurait non plus tout faire accepter sous prétexte de symbolisme ; car s’il peut y avoir de très beaux symboles dont le sens ne se laisse saisir que lentement, il ne faut pas en conclure qu’il suffise qu’un poème soit incompréhensible pour être aussitôt élevé au rang de poème symbolique. C’est cependant là un peu ce qu’ont semblé croire un trop grand nombre parmi les poètes qui se sont réclamés du symbolisme, aussi bien en Allemagne qu’en France. M. Seheerbart a publié deux volumes : le Paradis, et un Recueil de fables miraculeuses, qui ne me semblent pas appelés à d’autres destinées que de servir de prétexte à des discussions entre théoriciens sur ces questions du symbolisme et du fantastique.

« Haine à la terre ! » disait M. Seheerbart. « O terre, je t’aime ! » dit au contraire M. Paul Remer, à la fin de son recueil de poèmes : Sous l’arc-en-ciel. De même que M. Seheerbart, M. Remer se montre un adversaire déclaré du réalisme, et, lui aussi, il s’essaie à une poésie symbolique ; mais, loin de chercher à briser le lien qui unit la poésie à la vie, il voudrait au contraire le rendre plus fort : aussi choisit-il ses symboles plutôt dans la réalité que dans le rêve. Comme l’a fait observer avec raison un critique allemand, « il a l’heureuse faculté de considérer la réalité comme si elle était un conte. » Ainsi, dans l’un de ses poèmes, il nous dépeint un pauvre vieillard infirme qui traverse la campagne un matin de printemps ; un enfant s’avance à sa rencontre sur le chemin,