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Jésuites et y avait pour assistant le Père de Ravignan. Bien qu’il eût déjà des vues sur lui, le cardinal consentit à le laisser aller étudier à Rome. Pie IX l’y accueillit par ces mots partis du cœur : Vi benedico con tutto il mio cuore in tuo egressu et in tuo ingressu, le traita en fils, voulut s’entretenir familièrement avec lui une fois par mois et le plaça à l’Academia ecclesiastica.

Ce séjour de Rome, encore qu’il y eût quelque chose de mortifiant pour un homme de son âge à rentrer à l’école, à revenir, comme il le disait, au biberon et aux lisières du séminariste, laissa une trace lumineuse dans sa vie. En dehors de ses études et du privilège de ses rapports avec le pape, il s’y lia avec les principaux personnages de la Curie, avec le Gesu, avec le Père général Beckx, avec le grand théologien Perrone, le Père Passaglia, qui lut avec lui la Somme de saint Thomas d’Aquin. Au bout de trois ans, il fallut que Pie IX, qui aurait voulu le garder auprès de lui, le rendît aux instances réitérées de Wiseman.

Le cardinal-archevêque, en l’appelant à son secours, obéissait à une très juste vue des nécessités de la situation. Le catholicisme anglais traversait une grande crise. En butte pendant plus de deux siècles à une persécution tantôt sanglante, tantôt tracassière, il avait, en la personne de ses prêtres, héroïques réfractaires de la religion d’Henri VIII et d’Elisabeth, ou de ses laïques, livrés, comme victimes du complot catholique, aux monstrueux mensonges d’un Titus Oates, fourni d’innombrables martyrs à l’intolérance protestante. Il n’avait pas seulement subi ces souffrances qui portent avec elles leur compensation pour les âmes hautes. Frappé d’incapacités civiles et politiques, il avait éprouvé ce qu’il y a de plus cruel dans la persécution : ce resserrement, ce rétrécissement qu’elle opère à la longue dans l’esprit et le cœur de ses victimes. La révocation de l’édit de Nantes ou la Terreur révolutionnaire cueille la fleur d’une nation ; elle la jette au dehors ou la parque au dedans, dans une sorte d’exil à l’intérieur, et elle fait de cette élite une coterie infectée de l’esprit du refuge ou de l’émigration.

Le catholicisme anglais n’échappa pas à cette loi. Ses prêtres étaient les chapelains de quelques grandes familles. Les laïques étaient immobilisés, comme les légitimistes français, dans une sorte d’émigration à l’intérieur. Point de classes moyennes. Le peuple ne comprenait guère que des immigrés irlandais. À Londres, l’aristocratie fréquentait les chapelles des légations et ambassades catholiques ; les quartiers pauvres n’avaient que d’humbles et pauvres salles de mission. Ailleurs c’était pis encore. À Liverpool, quatre chapelles et quatorze prêtres pour plus de cent mille fidèles. Quatre grands événemens, qui marquèrent en