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l’apôtre du Saint-Esprit en Angleterre. Wiseman avait achevé son œuvre quelques années avant de mourir. Celle de Manning devait être, dans la pensée de son correspondant, tout ensemble plus ecclésiastique et plus spirituelle. Il devait donner à l’Angleterre son saint Charles Borromée et son saint Barthélémy des Martyrs. Manning se sentait très fort avec sa devise sentire cum Petro. Pie IX lui donna à Rome, en septembre, le pallium et lui recommanda paternellement la prudence.

Entre ces deux hommes les rapports n’avaient rien d’officiel. Pie IX aimait tendrement l’archevêque, l’appelait l’homme de la Providence, le suppliait de se ménager, d’imiter ce prélat américain qui avait pris pour règle de ne jamais faire lui-même ce qu’un simple prêtre pouvait faire à sa place. Quant à Manning, en dehors de ses convictions sur le dogme de l’infaillibilité, il professait pour la personne du pape un attachement mêlé de vénération. Mgr Talbot lui ayant écrit un jour : « Le saint-père est un fort bon homme, mais, je vous l’ai dit, il n’est pas un saint ; il a ses faiblesses », Manning, qui appelait Pie IX la personnalité la plus surnaturelle qu’il eût approchée, répliquait : « Savez-vous bien que j’ai dans l’idée que le pape est un saint et que les miserie umane, que nous pouvons découvrir en lui, existaient tout autant chez un saint Vincent Ferrier. » S’il y avait quelque exagération dans cette vue, il ne s’y mêlait néanmoins aucune flatterie. L’ultramontanisme de Manning n’était pas une doctrine d’emprunt, adoptée pour se mettre bien en cour ; c’était le produit non pas même d’un pur travail d’esprit, mais d’une lente élaboration de conscience. Pour cette âme longtemps ballottée sur les flots troublés du protestantisme, c’était au pied même du rocher de saint Pierre, — de ce roc sur lequel le Christ lui-même avait dit qu’il fonderait son Eglise, — qu’avaient jailli les sources de la certitude, de la joie et de la vie. Il me reste, en retraçant la carrière épiscopale de Manning, à montrer comment cet ultramontanisme, ce catholicisme rigoureux et absolu, a été la voie royale par laquelle ce précurseur d’un grand mouvement est allé à la rencontre de l’humanité moderne, de ses besoins, de ses souffrances et lui a offert le seul remède efficace, l’Évangile éternel. Chez lui la largeur de l’action fut en proportion de ce que ses adversaires appelaient l’étroitesse de la doctrine. Il fit voir par son exemple l’erreur de ceux qui veulent abaisser, rapetisser le christianisme, le dépouiller de ses caractères surnaturels, pour le faire agréer à l’esprit du siècle. La religion qu’il crut faite pour une génération sceptique, douloureuse, accablée et pourtant éprise de son mal, en garde contre les panacées de charlatans, revenue des promesses pompeuses et trompeuses de la