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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/398

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présence dans ces corps officiels assurait aux principes de la tolérance. Son cœur, toutefois, était moins dans ces travaux d’ordre en quelque sorte administratif que dans ses propres œuvres de relèvement et d’assistance.

On ne saurait trop le dire, parce que cela répond à certaines assertions doctrinaires d’après lesquelles le dévouement théorique à la réforme sociale serait toujours en proportion inverse de l’activité pratique pour le soulagement de la misère : c’est par la voie royale de la charité ; c’est en accomplissant le précepte fondamental de l’Evangile ; c’est en suivant d’aussi près que possible les pas de Jésus-Christ que Manning arriva à cette vue large et hardie des maux de notre société et de la meilleure manière d’y remédier. La première œuvre à laquelle il se voua, ce fut celle de la tempérance. Il avait vu, de ses yeux vu, touché de ses mains les effets de l’alcoolisme, du plus grand fléau peut-être de notre civilisation : la famille détruite ; les enfans, héritiers innocens de toutes les tares du corps et de l’âme et victimes de l’abandon ou des mauvais traitemens ; les buveurs, esclaves d’un tyran impitoyable, peu à peu ruinés dans leur santé, dégoûtés du travail, oubliant le chemin de l’atelier et celui de l’église ; — bref l’enfer sur la terre, au milieu de nos grandes villes. Devant un tel état de choses Manning n’était pas homme à se croiser les bras. Il ne fit pas seulement appel à toutes les ressources de la religion, — ce fut toujours, dans cette croisade sainte, le meilleur de ses forces, — il eut recours à tous les moyens d’action, à l’association, à l’enthousiasme, atout ce qui réveille la conscience et la fortifie, à tout ce qui émeut et ébranle l’âme populaire. Il fonda, il propagea la Ligue de la Croix. Il porta sur les estrades de réunions publiques sa robe de cardinal. Au début, pendant longtemps, il ne trouva que répugnance et hostilité dans les rangs du clergé et des laïques pieux. Ses procédés résolument modernes et populaires effrayaient les sages et les raisonnables, révoltaient les délicats. On lui reprochait d’emprunter quelque chose de ses bruyans moyens de propagande à cette armée du Salut, pour laquelle, du reste, dans les limites prescrites par son impeccable orthodoxie, il professait hautement une vive sympathie. On lui en voulait de se rendre trop familier à ses ligueurs, surtout à ces lieutenans éprouvés dont il avait fait la garde du corps du cardinal. Sa fête annuelle de la Ligue de la Croix au palais de Cristal, avec cette organisation quasi militaire, ces bannières, ces corps de musique, ces rubans distinctifs, cette espèce de revue passée par le général en chef, ce prince de l’Eglise haranguant la foule, ces acclamations frénétiques, tout cela troublait et indignait ces pharisiens gourmés et empesés