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dont l’horizon n’a jamais dépassé les murs d’une sacristie. Bien plus : quelques docteurs émirent des doutes sur la parfaite correction doctrinale d’un mouvement qui semblait donner à la tempérance, à l’abstinence même, une place disproportionnée dans le catalogue des vertus théologales.

Manning laissait dire. Si hominibus placerem, non essem servus Dei : c’était toute sa réponse à ces critiques. Il poursuivait son chemin, consacrant à cette propagande tous ses momens de liberté : même, pendant plusieurs années, — excès vraiment dangereux, — ses courtes vacances d’été ; pratiquant lui-même l’abstinence ; se rendant accessible à toute heure à son état-major ou même au premier buveur repentant qui venait lui demander aide et conseil. Un tel zèle devait avoir sa récompense. Peu à peu, à mesure que l’œuvre grandissait, les objections tombèrent. Les prêtres séculiers par centaines, les ordres religieux en masse s’associèrent à cette activité. La Ligue de la Croix multiplia ses branches sur toute la surface du pays, compta ses membres par dizaines de milliers. Les gardes du corps du cardinal étaient 1 400. Les enfans s’enrôlaient en grand nombre. Un jour, en face de la mort, Manning put écrire : L’une de mes plus grandes joies, c’est d’avoir sauvé beaucoup de pauvres ivrognes.

La seconde branche de son activité sur laquelle il convient d’appeler ici l’attention, c’est celle qui a trait à l’enfance. Celle-ci eut toujours les premiers droits sur lui. Quand il fut nommé archevêque, son premier mouvement fut de penser avec joie à tout ce qu’il allait pouvoir faire pour ces pauvres enfans privés des secours de l’Eglise dont il estimait le nombre dans son diocèse à vingt mille. On sait comment, à la grande indignation de ces chrétiens qui préfèrent un monument en pierres de taille à un édifice d’âmes vivantes, Manning ne crut pas devoir achever la construction de la cathédrale projetée et commencée par Wiseman, mais se contenta de la pro-cathédrale temporaire en faisant porter tout son effort et celui des donateurs sur l’éducation de l’enfance. C’était le temps où l’Angleterre, sous le ministère Gladstone et sous la direction de M. Forster, adoptait ce grand système d’éducation populaire qui devait donner un si puissant élan à la diffusion des lumières, mais qui posait sous une forme urgente, aiguë, la question de conscience. L’opinion n’en était pas encore arrivée à saisir cette grande vérité que la liberté de conscience et les droits des pères ne sont, pas moins lésés par une éducation publique, distribuée au nom de l’Etat et aux frais des contribuables, d’où le nom de Dieu et la religion sont bannis, que par un système d’éducation confessionnelle imposé à tous. Il fallait donc maintenir et même développer les écoles confessionnelles,