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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/42

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Cependant, à peine de retour en Angleterre, Manning se replongea en pleine mêlée. Il trouva le monde anglican en proie à une violente agitation. Hampden venait d’être élevé à l’épiscopat, ce même Hampden dont la nomination à la chaire de théologie d’Oxford avait jadis provoqué une sérieuse crise. Manning s’était prononcé avec vivacité dans ses lettres contre ce choix. Il surprit et scandalisa quelques-uns de ses amis par le langage de son mandement. Il y prenait le biais de recourir à un expédient de pure forme et de se refuser à voir jusqu’à nouvel ordre un hérétique dans un homme que l’Eglise n’avait pas officiellement marqué de ce caractère. M. Purcell trouve dans cet acte, en effet difficile à expliquer, un exemple nouveau de la souple diplomatie de Manning. Il se peut fort bien que la prolongation indéfinie de ce dualisme impossible entre les convictions catholiques et la position anglicane de l’archidiacre de Chichester ait exercé sur lui une influence démoralisante. Peut-être faut-il pourtant n’y voir qu’un scrupule de légalité et la répugnance fort naturelle d’un homme, aux yeux de qui l’anglicanisme tout entier n’était plus guère qu’une gigantesque fiction, affaire d’un malheureux prélat le bouc émissaire de l’hérésie générale.

Toutefois cette situation avait ses périls. Manning était en quelque sorte coupé en deux moitiés. Il était exposé naturellement à se contredire lui-même. Quand des âmes troublées s’adressaient à lui, comme jadis à Newman, pour les ramener au bercail anglican, son embarras était mortel. Leur confier ses propres doutes, les initier à ses luttes intimes, c’eût été dépasser son droit et violer son secret. Forcé de les retenir provisoirement dans l’Eglise à laquelle il appartenait encore, il était induit à employer des argumens dont il n’était pas sûr et, quand il avait réussi, il lui arrivait parfois d’avoir trop bien réussi et d’avoir à jamais détourné une âme de la vérité, en dépit de ses efforts ultérieurs. Quelquefois pourtant, la vérité l’emportait en dépit de toute prudence, comme lorsqu’il répondait à un jeune anglican le consultant sur les obligations pratiques d’un état d’âme tout catholique : « La place d’un homme qui croit tous les dogmes de l’Eglise catholique, est dans l’Eglise catholique. »

L’action, toutefois, pour un homme comme Manning, a en soi une telle vertu, une telle séduction, un tel enivrement, qu’il oubliait parfois, dans le feu d’un discours public ou d’un entretien particulier, non seulement, ce qui eût déjà été grave, ses propres pensées de derrière la tête, ses propres convictions, mais, ce qui était pire encore, les réalités spirituelles sur lesquelles elles étaient fondées. Un autre danger c’était, à force de pratiquer des à peu près