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estimé également coupable de fréquenter en Angleterre les chapelles catholiques et de ne pas fréquenter les édifices de ce culte en France et on Italie. Toutefois la pratique ne correspondait guère à ce système. Newman, quand il se convertit, n’avait jamais adressé la parole qu’à deux prêtres catholiques. Oakeley, étant entré par hasard dans une chapelle catholique, avait fui précipitamment dans une panique de conscience. Manning ne se fit pas de ces scrupules. Il se rendit assidu à tous les offices, il causa avec tous les ecclésiastiques, il visita tous les monastères. L’effet sur lui des cérémonies du culte fut de le confirmer dans son catholicisme intime. Ces actes symboliques, cette religion objective, ce grand drame de l’expiation et du salut sans cesse renouvelé et pourtant toujours le même, tout cet ensemble lui parut mettre en évidence les grandes réalités de la foi. A ses yeux, le culte protestant était à peine digne de ce nom : tantôt, comme à la cathédrale de Bâle, où il passa, il offrait, non pas une austère simplicité, mais la sécheresse et la nudité d’un froid rationalisme, tantôt, comme dans les églises anglicanes, il présentait aux fidèles le corps sans l’âme, l’imitation des formes, sans le dogme vivifiant, du catholicisme. A Saint-Pierre, à la cathédrale de Liège, à la basilique d’Aix-la-Chapelle, à la Portioncule d’Assise, au contraire, il se sentait à l’aise, chez lui, en communion intime avec l’acte et le prêtre.

A Rome, il respira à pleins poumons l’air de la métropole catholique. Pour occuper ses loisirs, il eut le spectacle des débuts de Pie IX et d’une révolution. Il s’entretint avec les hommes des divers partis, avec le Père Ventura, d’autres religieux. Le souverain pontife lui accorda deux audiences, le 9 avril et le 11 mai, le jour de son départ. Son journal du temps, si copieux sur tout le reste, mentionne ce fait en deux lignes. Heureusement le cardinal a réparé les omissions de l’anglican. Pie IX, auquel il présenta de la part de son ami Sidney Herbert un rapport sur la famine en Irlande, lui parla de Mme Fry, la réformatrice des prisons ; à ce propos, des quakers ; puis de l’Eglise anglicane, de l’observance des dimanches et des jours de saints ; de la communion sous les deux espèces. Enfin il loua les bonnes œuvres qui se faisaient en Angleterre en si grand nombre, ajoutant ce mot un peu pélagien : « Quand les hommes font de bonnes œuvres, Dieu donne sa grâce » ; et tournant son regard vers le ciel, il termina en ces termes : « Mes pauvres prières sont chaque jour offertes pour l’Angleterre. » Ainsi finit cette mémorable entrevue entre deux hommes destinés à exercer ensemble une si grande influence sur l’Eglise et sur le siècle.