front et de s’en faire une adversaire irréconciliable. Ainsi, exaltée par les uns, ménagée par les autres, la petite Dauphine apparaît désormais à l’opinion publique comme l’arbitre mystérieux de l’avenir.
Cette opinion, devenue une puissance et qui de jour en jour se sent plus forte, reçoit presque en même temps, cet hiver de 1770-71, deux défis du pouvoir. Après l’exil de Choiseul, vient celui des membres du Parlement, saisis une nuit dans leur lit par deux mousquetaires et dispersés dans les provinces les plus lointaines. Au petit coup d’État de Louis XV succède le grand coup d’Etat de Maupeou. Dans le milieu de la Cour où tout a son écho, mais où tout se rapetisse, le choc des grands intérêts du dehors se trouve réduit aux proportions des rivalités de cercles féminins. Mesdames confisquent de plus en plus le jugement de la Dauphine, excitent son animosité pour la du Barry, et la répulsion réunie de toutes ces femmes contre sa sensualité impénitente cause au Roi autant de souci que la révolte même de son Parlement. C’est l’opposition dans la famille, sourde et insaisissable, que n’atteignent pas les lettres de cachet et qu’on ne met pas à la Bastille. Elle le gêne parfois plus que l’autre, car il lui suffit, pour réduire la magistrature, de laisser aller son chancelier, tandis que pour réprimander Mesdames ou conseiller la Dauphine, il faut intervenir de sa personne, et c’est ce qu’il déteste le plus. Toute sa vie, il a préféré supporter ce qui lui a déplu chez ses filles, plutôt que d’exprimer un reproche, un avis même. Mme du Barry respecte d’ordinaire cette faiblesse du Roi pour Mesdames, et cette manie d’écrire qui éloigne de lui toute explication précise et ennuyeuse. Pour la Dauphine, elle conseille une autre conduite, assurée en tous cas de ne point réussir plus médiocrement qu’avec les princesses.
L’occasion vient du Dauphin. Ces soupers qu’il a lui-même sollicités, il ne s’y présente plus, affecte de les éviter, avec des mines d’humeur et de mépris pour la comtesse qui en fait les honneurs. Ce sont Mesdames qui ont inquiété leur neveu sur le danger que court son salut en des réunions aussi équivoques. La société particulière accuse de ce changement d’attitude la Dauphine, dont l’influence devient de plus en plus visible sur un mari qui commence alors d’être amoureux.
Mercy, qui sent gronder l’orage, voudrait que l’explication ait lieu avec le Roi, et a fait sa leçon en conséquence ; Mme du Barry, pour d’autres raisons, souhaite également que Louis XV s’adresse à Marie-Antoinette ; mais le Roi s’en tire par un moyen terme et fait appeler Mme de Noailles. Depuis longtemps, dit-il à la dame d’honneur, il désire causer avec elle sur le chapitre de Madame la