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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/423

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Dauphine. Ses qualités et son charme méritent tous les éloges, sauf sur trois points pour lesquels il conseillerait quelque changement : un peu trop de vivacité dans le maintien public, en tenant la cour par exemple ; quelque familiarité à la chasse, quand elle distribue des provisions aux jeunes gens qui se réunissent autour de sa voiture ; enfin, troisième grief et le seul trop évidemment qui motive cette audience : « Madame la Dauphine se permet, dit-on, de parler trop librement de ce qu’elle voit ou croit voir, et ses remarques un peu hasardées pourraient produire de mauvais effets dans l’intérieur de la famille. » À ces reproches inattendus, la dame d’honneur répond, avec les grandes phrases à queue qu’elle manie fort bien, que sa maîtresse n’a qu’un vif désir, celui de réussir à plaire en toutes choses à Sa Majesté, et qu’il sera facile de rectifier les petites fautes que son âge lui peut faire commettre, pour peu que Sa Majesté veuille l’en avertir ou autoriser qu’on l’en avertisse. Le Roi essaie alors de la questionner sur les conseils que reçoit la Dauphine : « Elle n’en reçoit pas toujours de bons, ajoute-t-il ; j’en connais la source, et cela me déplaît fort. »

Quand Mesdames sont informées de ce qu’a dit le Roi, elles commencent par s’échauffer, par suggérer des imprudences. Marie-Antoinette n’est-elle pas assez grande pour choisir ses conseils ? A sa place, elles écriraient au Roi pour demander si une dauphine doit avoir une gouvernante et si on va nommer à cette charge Mme de Noailles. Mercy, qui est à Versailles ce jour-là et qui y vient autant qu’il le peut, obtient une conduite moins écervelée. Au lieu d’écrire, Marie-Antoinette parle au Roi le même soir. Elle se montre affligée de ce que « son papa » n’a pas assez de confiance en elle pour causer directement de ce qui peut lui être agréable ou lui déplaire ; et comme elle met, sans aucune gêne, sa bonne grâce mutine dans ce filial reproche, Louis XV, embarrassé et ravi, l’assure de son amitié, lui baise tendrement les mains, et n’entre en détail sur aucun sujet. Il ne demande au fond qu’à être rassuré sur les dispositions de sa dauphine, et cette causerie, dont il paraît fort satisfait, fait taire pour un temps la cabale de son entourage.

Marie-Antoinette, bien femme déjà en ce petit triomphe, ne change rien du tout, quoi qu’elle ait dit, à sa manière d’être. Elle se refuse obstinément, par exemple, à parler à Mme du Barry. Il faut, pour obtenir d’elle un mot banal au duc d’Aiguillon, l’insistance de Mercy qui voit monter l’étoile du personnage et devine que l’ambassadeur de l’Impératrice pourra un jour avoir besoin que l’Archiduchesse n’ait trop vivement blessé personne. M. d’Aiguillon, qu’on jugeait impossible six mois avant à aucun