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l’innocence que tant d’ordures débitées en vain n’avaient su l’être pour le vice. On pouvait enfin éloigner d’elle, sous divers prétextes, les bons conseillers qui l’avaient sauvée de plusieurs mauvais pas et remplir sa Maison de créatures hostiles, désignées par la Du Barry.

Ce dernier point était, en ce moment, le plus grave. La comtesse de Noailles, bien qu’on y pensât, était difficile à déloger de sa charge de dame d’honneur ; mais Marie-Antoinette comprit le danger quand il s’agit de nommer une survivancière à sa dame d’atours, la duchesse de Villars. Fort d’un engagement obtenu de Marie-Josèphe de Saxe, M. de La Vauguyon a proposé sa belle-fille, la duchesse de Saint-Mégrin. C’est organiser l’espionnage du parti au milieu même de l’appartement de la Dauphine, au second poste de sa maison. Elle s’en irrite chez Mesdames, déclare qu’elle ne souffrira pas cette indignité. Mais elle n’ose point parler au Roi : la timidité de Mesdames la gagne ; depuis l’affaire de la comtesse de Gramont, elle a perdu son aisance d’enfant, et l’image de Mme du Barry est sans cesse entre elle et son grand-père. Elle attend donc, tremble, perd du temps. De l’autre côté, on fait agir toutes les influences, dans la fièvre des candidatures traversées. Mme de Villars, très malade, dicte pour le Dauphin une lettre pressante : « Le zèle et rattachement de M. de La Vauguyon pour votre personne depuis votre enfance semblent donner à sa belle-fille les plus grands droits à votre protection. Mais la parole positive de feue Madame la Dauphine est, si j’ose le dire, une obligation pour vous de solliciter auprès du Roi l’exécution de ce qu’il a bien voulu permettre lui-même. C’est une dette de votre auguste mère que vous acquitterez. » Le Dauphin ne se soucie plus de contenter son vieux gouverneur, mais le souvenir de sa mère ne le laisse pas indifférent ; sans rien dire à Marie-Antoinette, il demande au Roi la nomination de Mme de Saint-Mégrin. En même temps que sa lettre, le Roi en reçoit une de la Dauphine, le suppliant avant tout d’écarter un tel choix et de désigner la survivancière parmi ses dames. Les deux réponses partent ensemble : « Mon cher fils, avec la répugnance que vous savez que Madame la Dauphine a dans ce moment-ci, et qui est personnelle à Mme de Saint-Mégrin, voudriez-vous lui donner ce chagrin-là ? » Du côté de Marie-Antoinette, le Roi consent à l’exclusion demandée, la duchesse proposée étant trop jeune pour une charge aussi importante, mais il ajoute que sa chère fille est elle-même bien jeune pour choisir sa dame d’atours. Mme de Villars meurt et Marie-Antoinette se décide à parler au Roi : « Papa, j’espère que vous me donnerez une de mes dames. — Non, sûrement, dit le Roi, et je compte que vous recevrez mon choix avec