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respect. » La princesse reste tout agitée, craignant Mme de Valentinois, Mme de Montmorency, Mme de Laval, toutes les soupeuses. Enfin, un simple billet paternel l’avertit que M. d’Aiguillon vient d’être envoyé à Paris pour offrir la charge à Mme de Cossé-Brissac. La duchesse de Cossé, à vrai dire, n’est pas de « la clique » ; c’est une jeune mère de famille sans reproche et peu désireuse de vivre à la Cour ; mais le duc est un ami personnel de Mme du Barry, un des favoris de la sultane ; c’est lui qui a sollicité la place et obligé sa femme à l’accepter. M. de La Vauguyon a donc pris sa revanche et Marie-Antoinette est consternée. Mercy rédige sa réponse au Roi, en y laissant les gaucheries qui feront croire qu’elle est spontanée : « Aussitôt que j’ai reçu votre billet, mon cher papa, j’ai écrit à Mme de Cossé pour lui apprendre votre choix. Elle m’a répondu fort honnêtement ; elle ne pourra venir ici que samedi ; j’espère qu’elle justifiera votre choix et tout le bien qu’on vous a dit d’elle. » Quand Marie-Antoinette a transcrit ces lignes, qu’elle sait qu’on lira chez Mme du Barry, elle se retire pour être seule et pleurer de rage. Ses désillusions grandissent tous les jours ; cette cour de Versailles, qu’elle a rêvée si belle, où elle devait tenir le premier rang, il ne lui reste même plus le droit d’y désigner les dames avec qui elle doit vivre. Hors les futilités de plaisirs, ses désirs les plus fermes ne comptent pas ; c’est toujours la même puissance capricieuse, la même volonté cachée qui gouverne, dans les petites comme dans les grandes choses, qui nomme les dames d’atours aussi sûrement qu’elle défait les ministres.

Ces cabinets où régnait la favorite, cet antre ténébreux où se tramaient, selon Marie-Antoinette, tant de complots contre sa dignité et son repos, M. de Mercy y pénétra un jour et, en bon diplomate qu’il était, s’avisa qu’il serait ingénieux de s’y faire lui-même une place. Ce n’est pas sans quelques précautions qu’il fit part pour la première fois à l’Impératrice, dans ses lettres de Compiègne, de cette nouvelle façon de servir les intérêts de sa fille : « J’étais prié à souper chez la comtesse de Valentinois ; je m’y rendis avec le nonce et l’ambassadeur de Sardaigne. Nous y trouvâmes le duc et la duchesse d’Aiguillon, le duc de la Vrillière, une dame du palais, d’autres dames du service de Mme la comtesse de Provence, et la comtesse du Barry. C’était la première fois que je me trouvais vis-à-vis de cette femme. L’ambassadeur de Sardaigne lui parla d’abord comme à une personne avec laquelle on est en connaissance ; le nonce marqua beaucoup d’empressement à se mêler à la conversation ; je crus devoir observer plus de réserve, et ce ne fut qu’après que la favorite m’eut adressé la parole que je me livrai à causer tout