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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/435

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qui se doute de quelque faiblesse et ne la perd pas des yeux, élève la voix : « Il est temps de s’en aller, partons ; nous irons attendre le Roi chez ma sœur Victoire. » À ce mot, Marie-Antoinette, rougissante, tourne le dos, suit sa tante. Tout le monde regarde Mme du Barry, qui dévore un affront de plus.


IV

Cette petite bouche fière qui reste fermée et dont le silence trouble un roi, sa favorite, ses ministres, donne à penser à l’Europe entière, quelle force saura l’ouvrir ? Si Marie-Antoinette a manqué de parole à M. de Mercy, elle est sûre du moins de n’avoir pas manqué à sa propre dignité. Son hostilité ne vient pas seulement de Mesdames, comme il plaît à l’ambassadeur de le dire ; c’est la révolte inévitable de l’innocence contre les vilenies qui lui ont révélé le mal, c’est la répulsion de l’hermine à certains contacts. Marie-Antoinette suit un sentiment semblable à celui qui dicte leur attitude à tant de femmes désintéressées de l’intrigue et simplement honnêtes, à cette comtesse d’Egmont, qui refuse son portrait à son ami Gustave III s’il ne prend l’engagement de n’avoir jamais chez lui celui de la Du Barry ; à cette Mme de Brancas, qui se fait renvoyer du service de la comtesse de Provence pour avoir dit tout haut ce que tant de gens pensent tout bas. Il n’y a pas autre chose chez la Dauphine qu’une répugnance d’honnêteté native, contre laquelle viendra échouer l’habileté de Mercy, si bien intentionnée soit-elle. Elle a été trop bien élevée, en des principes trop solides de conduite, pour admettre les compromis qu’on lui propose. Il n’y a qu’une autorité au monde qui puisse l’y décider, celle-là même qui lui a enseigné la droiture et qui a veillé sur la pureté de son cœur. Et voici Marie-Thérèse elle-même appelée en scène et se croyant le devoir de gronder sa fille, d’appuyer, par des conseils précis qu’on s’étonne de rencontrer sous sa plume, les honteuses demandes de Louis XV.

Marie-Antoinette savoure encore la petite satisfaction du dépit causé à la Du Barry, quand elle reçoit de Vienne des gronderies : « Cette crainte et embarras de parler au Roi, le meilleur des pères ! Celle de parler aux gens à qui on vous conseille de parler ! Avouez cet embarras, cette crainte de dire seulement le bonjour. Un mot sur un habit, sur une bagatelle vous coûte tant de grimaces ; pures grimaces, ou c’est pire. Vous vous êtes donc laissé entraîner dans un tel esclavage que la raison, votre devoir même, n’ont plus de force de vous persuader. Je ne puis me taire.