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Telle est, en effet, la seule affaire pour laquelle, dans les petits appartemens, on ait besoin du comte de Mercy : complimens, cajoleries, audiences intimes, familiarités du Roi, coquetteries de la dame, tout n’a qu’un but : obtenir que Marie-Antoinette, à n’importe quel moment, au cercle par exemple, en faisant « son tour », dise un mot, quel qu’il soit, à Mme du Barry et reconnaisse ainsi son existence de femme de la Cour.

L’ambassadeur s’est bien promis de décider Marie-Antoinette à satisfaire le Roi. Il lui rapporte l’entretien et l’embarrasse dans un dilemme : « Si Madame l’Archiduchesse veut annoncer par sa conduite publique qu’elle connaît le rôle que joue à la Cour la comtesse du Barry, sa dignité exige qu’elle demande au Roi d’interdire à cette femme de paraître désormais au cercle. Si au contraire elle veut sembler ignorer le vrai état de la favorite, il faut la traiter sans affectation comme toute femme présentée, et lorsque l’occasion s’offrira, lui adresser, ne serait-ce qu’une fois, la parole, ce qui fera cesser tout prétexte spécieux de récriminations. » Mercy conseille avant tout une explication de quelques minutes avec le Roi, où Marie-Antoinette sera bien moins embarrassée que lui devant son désir filial de le contenter ; elle y verrait quelle facilité elle aurait à s’emparer de ce cœur, pour peu qu’elle cessât de le blesser.

La jeune femme, très docile pour écouter, comprenant à merveille, mais d’adhésion toujours rebelle, n’obéit pas à ce conseil. Vainement l’occasion se présente, quand, à la chasse, le Roi vient auprès d’elle, monte dans sa calèche, l’assied sur ses genoux, cherchant à l’incliner ainsi à une moins farouche humeur. Mercy revient à la charge tous les jours, en personne ou remplacé par l’abbé de Vermond. Mais chaque soir leur œuvre est détruite par Mesdames : « Avant tout, pas un mot au Roi. » La peur qu’elles inspirent l’emporte ; Marie-Antoinette déclare à Mercy que « le courage lui manque », et tout ce qu’elle peut promettre, c’est d’adresser, une fois, la parole à la favorite.

Le dimanche suivant, il y a, comme d’habitude, grand couvert et jeu. Mme du Barry, avertie par l’ambassadeur des dispositions nouvelles, vient au cercle avec Mme de Valentinois. Aucune femme ne lui parle, Mesdames et la Dauphine donnant le ton. Marie-Antoinette appelle son conseiller : « J’ai bien peur, monsieur de Mercy ; mais soyez tranquille, je parlerai. » Elle l’envoie causer avec la favorite, car le jeu va finir et elle veut le trouver au point difficile du salon quand elle y arrivera elle-même. Elle commence, en effet, sa tournée, dit un mot à chacune des dames ; elle approche, n’est plus qu’à deux pas, quand Madame Adélaïde,