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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/45

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durement avertie qu’elle n’était pas maîtresse d’elle-même, de sa foi, de sa discipline, mais le vrai maître déclarait que tout ce qui avait été dit, écrit, prêché, depuis dix-sept ans, tout l’anglo-catholicisme, était un mensonge. Il était loisible à un ministre anglican — à un prêtre, comme disaient les Tractariens — de nier un sacrement, d’enseigner et de pratiquer le calvinisme, voire le zwinglianisme pur.

C’en était trop pour des esprits tout pénétrés du néo-catholicisme. L’émotion fut immense. Il ne s’agissait plus de savoir, comme en 1845, si les prémisses posées par Newman permettaient le refus d’obéissance au siège de l’unité à Rome. Il s’agissait de savoir si, pour son salut, on pouvait rester dans une Église devenue une pure institution humaine, dont la foi, les symboles, les sacremens, la discipline, le recrutement étaient à la merci des tribunaux laïques siégeant au nom de la souveraineté civile. M. Gladstone, malade, se dressa dans son lit pour dire à Manning : « L’Eglise d’Angleterre est perdue si elle ne se sauve pas par quelque acte de courage. » Au dernier moment, l’homme d’Etat recula devant sa propre témérité. Il refusa, lui treizième, à une réunion tenue chez lui, d’apposer son nom à la protestation rédigée par Manning et signée de douze fidèles et prêtres, parmi lesquels Manning, l’archidiacre Robert Wilberforce, Pusey, Mill, le professeur d’hébreu de Cambridge, Henry Wilberforce, Keble et Hope Scott.

Le 19 mars 1850, dans la bibliothèque de la cathédrale à Chichester, Manning présida à un meeting du clergé de son archi-diaconé qui adopta une formule de protestation plus brève, mais non moins nette. Il rédigea et fit signer par 1800 membres du clergé une déclaration contre la suprématie royale. Puis, avant de prendre les résolutions finales, dans l’attente peut-être, contre toute probabilité, d’une solution favorable à la onzième heure, il se renferma dans la retraite. C’était, cinq ans plus tard, son Littlemore, l’agonie de son anglicanisme. Elle dura neuf mois, de mars à décembre 1850. Comme il l’écrivait à Robert Wilberforce, « chaque matin, en ouvrant les yeux, son cœur se brisait presque. Il se sentait partagé entre la vérité et l’affection. » L’anglicanisme, à ses yeux, n’était plus « qu’une ruine. » Quelquefois il entrevoyait clairement le port où il allait : « Rome, contre de l’Eglise une, sainte, visible, infaillible. » D’autres fois de vagues visions flottaient devant ses yeux : « Si je reste anglican je finirai par être un simple mystique… Dieu est esprit, n’a pas de royaume visible, d’Eglise ou de sacremens. Rien ne me fera rentrer dans le protestantisme anglican ou autre. »