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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/46

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Il s’entretenait à cœur ouvert avec Robert Wilberforce, qui passait par la même crise. A l’égard du public, de ceux mêmes de ses amis qui, comme Gladstone, ne pouvaient concevoir l’idée sacrilège de quitter l’Eglise nationale, il croyait pouvoir se taire tant que son parti n’aurait pas été irrévocablement pris. Peut-être espérait-il encore vaguement contre tout espoir que les archevêques, en leur qualité de chefs spirituels, de patriarches de l’anglicanisme, interviendraient pour rétablir la pureté de la foi. Il dut renoncer à cette illusion naïve quand il vit l’archevêque de Canterbury, Summer, refuser de recevoir une délégation et déclarer qu’il ne se prêterait jamais à disputer la sentence d’un tribunal régulier et qu’il ne voyait rien d’illicite dans l’admission à la cure d’âmes d’un ecclésiastique hostile à la régénération baptismale. Cette attitude n’était pas tout à fait celle des apôtres déclarant fièrement au sanhédrin qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. Ainsi l’Eglise n’était pas seulement réduite on esclavage. Elle l’était du consentement exprès de ses chefs, qui la trahissaient. Elle ne pouvait plus avoir que le nom d’Eglise. La réalité avait disparu.

Tous les amis de Manning, son beau-frère Samuel Wilberforce, l’évêque d’Oxford, dont les deux frères passaient par la même crise, Gladstone, Pusey, ses parens, son frère aîné, qui lui adressait des épîtres de répréhension et qui refusa toujours de le revoir après sa conversion, sentaient bien que c’en était fait, que la soumission à Home du recteur de Lavington n’était plus qu’une affaire de semaines, presque de jours. M. Purcell, oubliant les documens qu’il a publiés lui-même, cherche encore à le convaincre de duplicité. Manning remplissait encore les strictes obligations de sa charge, mais son cœur était à Rome. Le 17 novembre, il se vit obligé de convoquer sur réquisition et de présider un meeting du clergé de son archidiaconé pour protester contre la bulle papale qui venait de restaurer, à la grande colère de l’anglicanisme officiel et du protestantisme populaire, la hiérarchie catholique supprimée en Angleterre depuis l’avènement d’Elisabeth. La position était extraordinairement fausse, il le sentit et il saisit cette occasion pour communiquer à ses frères dans le ministère l’état de son esprit et sa formelle résolution d’abandonner l’Eglise d’Angleterre.

L’heure des hésitations finales, des derniers combats était passée. Manning n’avait rien donné à la hâte, à la passion. Il avait lutté aussi longtemps qu’il l’avait osé, plus longtemps peut-être qu’il n’eût dû, contre la voix de sa conscience. Peu à peu, il