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De même pour ce grand déballage de connaissances historiques. On nous sert par petites tranches l’histoire romaine et l’histoire de la papauté. Nous nous reposons de la description d’un arc de triomphe par un peu de chronologie et la biographie alterne avec la topographie. L’abbé, dont l’éducation première a décidément été peu soignée, ouvre ses livres, y trouve des notions qui le ravissent et nous les rapporte dans toute leur fraîcheur. Il y a dans Rome des phrases qui sont de simples points de repère commodes pour les étudians : « Dès Constantin Kome a une rivale, Byzance, et le démembrement s’opère sous Honorius… » Cela est bon à savoir. Ailleurs c’est un résumé de l’histoire des douze Césars. Il y est, je vous assure, et vous pouvez y aller voir. Du reste, à quoi sert-il pour l’ordonnance générale du livre ? on serait un peu embarrassé de le dire. Pour tels autres détails nous voyons tout de suite ce qui les a fait relever. Quand nous faisions nos classes ce n’étaient pas toujours les dates les plus importantes ni les noms les plus fameux qui nous frappaient : nous retenions plutôt certaines particularités amusantes, certains noms qui se gravaient dans notre mémoire grâce à leur consonance inusitée. Ainsi fait l’abbé Pierre : s’il note qu’un concile a été tenu au Septizonium, c’est qu’il a été séduit par l’aspect savant de ce mot, et s’il nous entretient de l’élection du pape Gélase II, c’est que cela l’amuse de songer que des papes aient eu l’idée bizarre de s’appeler Gélase. Je ne nie pas que tout cela ne soit instructif. C’est de « l’érudition », au même titre où les dictionnaires sont des ouvrages d’érudition. C’est de l’histoire, comme les Abrégés historiques, comme les Précis, comme la Petite histoire de l’Eglise à l’usage des catéchismes de persévérance est de l’histoire.

Un roman ne peut être exclusivement une œuvre de science, c’est par essence une œuvre d’imagination. Il faudrait être bien injuste pour prétendre que M. Zola n’a pas d’imagination ; il en a, au contraire, et de la plus follement romanesque ; il se pourrait même que ce fût là ce qui chez lui est fondamental. Il a un cerveau bizarrement construit, et non pas du tout une caboche nette, ronde et solide. La réalité, en y passant, s’y déforme, s’y teinte d’étranges couleurs. Il a le goût de l’extraordinaire, la passion de l’invraisemblable, la fureur du merveilleux, une tendresse de cœur pour l’abracadabrant. De là ces épisodes mélodramatiques qu’on retrouve dans chacun de ses romans. D’instinct, il se représente la Aie à la manière des grandes machines de l’Ambigu. Aussi l’Italie du roi Humbert n’a pas cessé d’être pour lui l’Italie des Borgia. Des conspirations s’ourdissent dans l’ombre, des complots se trament dans les ténèbres, des traîtres se drapent dans des manteaux couleur de muraille. « Il soupçonna une influence secrète, quelqu’un dont la main menait tout vers un but ignoré. » On se souvient