Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/492

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donne lieu de soupçonner un commerce prochain de galanterie[1]. » Ce commerce devait cependant finir par éclater. S’il fallait en croire Saint-Simon, l’éclat aurait été précédé d’un drame de famille, et ce serait un oncle vindicatif, abbé par-dessus le marché, qui, rebuté par sa nièce, aurait contribué à la perdre. Après bien des péripéties, et, disons-le à l’honneur de la jeune femme, une assez longue résistance de sa part, les choses devinrent publiques durant certain voyage à Nice que toute la cour entreprit au printemps de 1688.

La duchesse Anne devait être accompagnée de dix dames. Le duc de Savoie désigna Mme de Verrue pour faire partie du cortège. Ainsi il traînait à sa suite sa femme et sa maîtresse, tout comme Louis XIV, dans le fameux voyage de Flandre, traînait à sa suite, avec Marie-Thérèse et Mme de Montespan, la pauvre La Vallière déjà délaissée. La chronique scandaleuse de la cour de Turin ne dit pas si Mlle de Cumiana, devenue la comtesse de Saint-Sébastien, ou M"0 de Saluées, devenue la marquise de Prié, étaient également du voyage. Ce qui achève de compléter la ressemblance, c’est que la comtesse de Verrue était affligée d’un mari qui jouait les Montespan, et qui, après avoir commencé par être imprudent, finissait, au dire de d’Arcy, par se montrer « chagrin de l’éclat que fait l’intelligence de M. de Savoye avec sa femme. » Pour se débarrasser d’une surveillance incommode, Mme de Verrue prenait un parti hardi. Elle feignait d’avoir des griefs contre son mari, et, quittant le vieil hôtel de Verrue où elle demeurait avec une belle-mère acariâtre, elle se jetait un beau matin au couvent des Filles de Sainte-Marie. Victor-Amédée faisait l’étonné. « On a remarqué, mandait d’Arcy au Roi[2], que le duc de Savoye avait pris l’habitude de se promener presque tous les matins en robe de chambre avec Mme la Duchesse dans les chambres de son palais, comme pour la ménager, et que, le lendemain du jour que Mme de Verrue était entrée aux Filles de Sainte-Marie, ce prince, comme tout étonné, avait dit à Mme la duchesse de Savoye : « Eh, Madame, que dites-vous de la résolution si surprenante de Mme de Verrue, qu’on dit s’être jetée dans le couvent des Filles de Sainte-Marie ? En vérité elle mériterait bien qu’on s’intéressât pour elle. » Sur quoi cette princesse n’aurait fait que baisser les yeux et ne plus parler. »

Baisser les yeux et ne pas parler, la pauvre duchesse Anne n’avait jamais fait, et ne fit jamais autre chose. Elle ne parla pas

  1. D’Arcy au Roi, 14 février 1688, cité par Loris, p. 37.
  2. D’Arcy au Roi, 20 août 1688, citée par Leris, p. 79.