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davantage quand, l’année suivante, le comte de Verrue ayant passé en France, où il prit du service, et la comtesse étant sortie du couvent des Filles de Sainte-Marie, le duc de Savoie la nomma dame d’atours de la duchesse de Savoie. Lorsqu’on voit Victor-Amédée calquer si exactement sa conduite sur celle de Louis XIV nommant Mme de Montespan surintendante de la maison de Marie-Thérèse, on peut se demander s’il n’y apportait pas quelque raillerie, et si ce n’était pas une manière ironique de répondre aux représentations que d’Arcy avait été chargé de lui adresser. Lors de ses premiers écarts, d’Arcy avait reçu en effet la mission assez embarrassante de faire savoir au duc de Savoie « que Sa Majesté avait été fort surprise et fort fâchée d’apprendre qu’il n’eût pas pour Mme la Duchesse, sa femme, toute la considération que mérite non seulement la naissance de cette princesse, mais encore sa vertu et sa bonne conduite. » A quoi le duc de Savoie avait répondu, « avec un air embarrassé et peu content, qu’il avait lieu d’être fort surpris lui-même qu’on eût si mal informé Sa Majesté de sa conduite[1]. »

Si le mécontentement de Victor-Amédée avait subsisté (et ces tracasseries cherchées par Louis XIV à son neveu par alliance ne furent pas pour peu de chose dans la brouille) l’embarras disparut, car Mme de Verrue régna pendant douze années sans conteste à la cour de Turin, jusqu’au jour où, lasse de la situation intolérable que lui firent à la longue les jalousies et les emportemens de Victor-Amédée, elle finit par imiter son mari et par se réfugier à son tour en France, tandis que celui-ci revenait au contraire prendre du service en Piémont. Pendant ces années d’abandon et d’humiliation, la duchesse Anne continua d’opposer aux infidélités de son mari une résignation inaltérable, et de régler sa vie extérieure d’après les moindres désirs d’une volonté capricieuse. Si, au moment où il partait, sur l’invitation pressante de Louis XIV, pour guerroyer contre ses propres sujets les Vaudois, Victor-Amédée témoignait le désir que, durant son absence, la duchesse vécût d’une vie retirée, on ne la voyait plus qu’aux églises. Madame Royale, sa belle-mère, qui aurait été moins docile, la raillait même un peu lorsqu’elle écrivait à Mme de la Fayette : « Madame Son Altesse Royale est dans une retraite tout extraordinaire ce voyage-ci, et nous ne nous voyons qu’aux promenades et aux églises où nous allons beaucoup ensemble. On lui a fait la leçon avant de partir apparemment, et elle y est si exacte, et elle craint tellement, qu’elle ne ferait pas un pas ni ne dirait un mot pour

  1. D’Arcy au Roi, 3 janvier 1688, cité par Leris, p. 33.