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jeunesse si fêtée et leur mémoire si chère. Ces deux enfans devinrent de plus en plus l’intérêt principal de sa vie. Elle aimait peu Turin et ce froid Palazzo reale, de construction récente, dont les grandes et hautes salles, qu’on peut admirer encore aujourd’hui, se prêtaient mal à l’intimité de la vie de famille. Sa résidence préférée n’était même pas le majestueux palais de la Vénerie, le Versailles des ducs de Savoie. C’était un petit palais « comme caché, dit Luisa Sarredo, dans un nid de verdure » qui s’appelait alors : Vigna di Madama, et qui, depuis, en souvenir des fréquens séjours qu’y fit la duchesse, depuis reine Anne, fut appelée Vigna della Regina. Ce nom de La Vigne revient souvent dans les lettres de la duchesse de Bourgogne et de la reine d’Espagne comme celui d’un lieu où s’était écoulée leur enfance. La duchesse Anne y menait l’existence la plus simple, vivant beaucoup au grand air, faisant de longues promenades à pied, et ne conservant auprès d’elle que le moins de monde possible. « Vous êtes donc toute seule à Turin, depuis que ma mère et mes frères sont allés à La Vigne, écrivait, quelques années plus tard, la reine d’Espagne à sa grand’mère. Le peu de monde qu’elle a mené avec elle ne me surprend point, puisque c’était de même de mon temps. » Mère dévouée, elle ne livrait point ses enfans à des soins mercenaires. Une de ses filles ayant contracté quelque maladie contagieuse, la fièvre scarlatine probablement, elle s’enfermait avec elle et écrivait à Madame Royale, qui la voulait venir voir : « Je vous conjure, Madame, de ne pas vous presser, ou du moins ma fille qui ne vient pas encore au bas sera plus encore enfermée dans sa chambre, car avant les quarante jours, avec votre permission, je ne vous la laisserai pas voir[1]. »

La princesse Adélaïde avait cependant une gouvernante, la marquise de Saint-Germain, et une sous-gouvernante, Mme Dunoyer. Celle-ci était, assure-t-on, une personne fort distinguée. Il y eut deux choses, cependant, qu’elle ne parvint jamais à apprendre à sa petite élève : l’écriture et l’orthographe. Jusqu’à la fin de sa vie, la duchesse de Bourgogne conserva une grosse écriture d’enfant, qui sent l’effort. Aussi ses lettres sont-elles toujours fort courtes. Quant à leur orthographe, elle dépasse, dans ses fantaisies, les irrégularités dont tout le monde était alors plus ou moins coutumier. Celles de sa sœur, la reine d’Espagne, qui sont généralement beaucoup plus longues, font plus d’honneur aux leçons de Mme Dunoyer. Mais l’éducation morale, où se fait davantage sentir la main de la mère, fut parfaite.

  1. Luisa Sarredo, p. 174.