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pas perdre ses droits d’aînesse, et par ces deux mots, sans en parler davantage, la succession lui reste absolument ouverte. »

Cette restriction montre que les jurisconsultes de la couronne n’avaient pas tort de se méfier de quelque arrière-pensée, et d’accumuler les précautions, en faisant renoncer par avance la princesse avec serment réitéré « à toutes lois, édits, constitutions, coutumes, statuts et dispositions contraires, au bénéfice de la minorité d’âge, lésion énorme et énormissime, restitution en entier, nullité de contrat par défaut de solennité, exception de chose non due et sans cause, de dol, de crainte reverentiale ou présumée, absolution de serment, etc., et à toute cause et exception, tant pensées qu’imprévues, sans qu’il fût besoin d’en faire une expresse et individuelle mention. »

Les autres articles du contrat leur avaient coûté moins de peine, mais pour la dot ils s’étaient avisés d’un expédient singulier. On se souvient que dans sa lettre au pape Innocent XII, Victor-Amédée se réjouissait de marier sa fille sans qu’il lui en coûtât rien. En effet, les 200 000 écus qu’il avait promis de lui constituer en dot devaient jusqu’à concurrence de 100 000 écus se compenser avec pareille somme qui lui restait due sur celle de sa propre femme, et le reste, aux termes du traité, lui était remis en considération du mariage. Mais Victor-Amédée estimait sans doute contraire à sa dignité de marier sa fille sans dot, car l’article II du contrat relatif à la constitution de dot ne faisait point mention de cet arrangement. Il y était dit seulement que les 200 000 écus d’or que le duc de Savoie s’obligeait adonner étaient payables « de la manière dont il a été convenu à part. » En effet par un acte séparé, dont l’original est aux Archives de Turin[1], Louis XIV s’obligeait à compter à sa future petite-fille ladite somme de 200 000 écus, ainsi qu’il avait été convenu « quoy qu’on ne l’ait pas exprimé dans le dit traitté de paix par de dignes considérations. » Il promettait en outre pour lui, ses héritiers et successeurs à la couronne, « de garantir et tenir pour relevé le dit seigneur duc de Savoye et les siens de toute molestie au sujet de la ditte dot. » C’était donc en réalité Louis XIV qui dotait la fille du duc de Savoie. En outre il lui faisait don, pour ses bagues et joyaux, d’une somme de 50 000 écus d’or sol, et « suivant l’ancienne et louable coutume de la maison de France » il lui assignait et constituait pour son douaire « 20 000 écus d’or sol chacun an, sur des revenus et terres dont le principal lui aura le titre de duché, desquels lieux et terres ladite dame princesse jouira par ses

  1. Archives d’État de Turin. Matrimonii della Real Casa.