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Imprudent le gouvernement qui, pour émettre ses emprunts, comme pour partir en guerre, prétendrait toujours far da se. Ainsi, notamment, en cas de crise. Sans l’appui de toute la haute banque européenne, l’exemple vaut d’être rappelé, Thiers n’aurait pu conclure ses grands emprunts de liquidation de la guerre ; il lui eût été impossible de solder au vainqueur sa monstrueuse rançon.

Il y avait là une opération colossale, compliquée de délicates questions de change ; il fallait que le change entre les diverses places de l’Europe fût maintenu à un taux convenable. Pour cela, une entente avec la haute banque s’imposait. Un des grands mérites de Thiers a été de le comprendre, au lieu de se figurer, comme tant d’ignorans, que les cinq milliards de l’indemnité prussienne allaient sortir, spontanément, du légendaire bas de laine. A quoi fut dû le succès prodigieux de nos emprunts qui fut le premier indice de notre convalescence, ce succès qui nous releva aux yeux du monde, en nous rendant l’éclat toujours prestigieux de la richesse, et qui nous redonna quelque confiance en nous-mêmes, en nous montrant que l’Europe croyait encore à la France ? Il fut dû à l’accord du gouvernement avec la finance cosmopolite. Gambetta appelait Thiers le libérateur du territoire ; Gambetta avait raison, mais pour libérer le sol demeuré français, Thiers a eu un auxiliaire, la haute banque.


II

La prétendue omnipotence de la haute banque se réduit, en fait, d’habitude, à faciliter aux gouvernemens le placement de leurs emprunts et l’écoulement de leurs titres. Tout au plus peut-elle, en quelques circonstances, durant de courtes semaines, abaisser ou relever le crédit d’un État, en faisant fléchir ou monter ses rentes nationales. Encore n’y saurait-elle réussir que temporairement, aux époques de crise, et cela uniquement pour les petits États, ou pour les pays à finances avariées. Comme le médecin n’a d’autorité que sur les malades, les banquiers n’ont guère d’ascendant que sur les États en déficit. L’influence de la haute banque et toutes les manœuvres de Bourse ne sauraient précipiter, d’une manière durable, le crédit des pays dont les