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Voilà qui était d’une logique serrée, pour qui admet la toute-puissance de « la banque juive. » C’était une des raisons pour lesquelles feu Katkof, le grand patriote moscovite, était opposé à l’antisémitisme. Et, en dehors de la Russie, plusieurs bons esprits en jugeaient de même. Une des grandes revues des États-Unis, the Forum, me faisait, il y a quelques années, l’honneur de m’interroger sur ce point. « Ne pensez-vous pas, me disaient ces Yankees, ennemis de toute vexation religieuse, et pleins de foi dans l’omnipotence des banknotes, ne pensez-vous pas que les juifs tiennent la Russie par la Bourse ? Qu’est-ce qui empêcherait les Rothschild de « boycotter » le tsar[1] ? » L’idée semblait si naturelle, à ces chrétiens d’outre-océan, qu’ils se montrèrent surpris de mon incrédulité. Les juifs les plus dévoués à la cause d’Israël avaient moins de confiance dans l’empire souverain du sceptre d’or, attribué à leurs riches coreligionnaires. Ils doutaient de cette rédemption de la Synagogue par la Bourse. Ils avaient raison. L’événement a montré ce que contenait d’illusion cette espérance des adversaires de la politique russe. N’en déplaise aux adorateurs du dieu dollar, on ne prend pas un grand empire par la Bourse. Tout au plus, un pareil blocus financier réussirait-il à faire capituler un État de second ou de troisième ordre[2]. Les juifs les plus dévoués à la cause d’Israël avaient moins de confiance dans l’empire souverain du sceptre d’or, attribué à leurs riches coreligionnaires. Ils doutaient de cette rédemption de la Synagogue par la Bourse. Ils avaient raison. L’événement a montré ce que contenait d’illusion cette espérance des adversaires de la politique russe. N’en déplaise aux adorateurs du dieu dollar, on ne prend pas un grand empire par la Bourse. Tout au plus, un pareil blocus financier réussirait-il à faire capituler un État de second ou de troisième ordre[3].

La haute banque de Paris et de Berlin, la banque juive, si l’on veut, a bien semblé, un moment, faire grise mine à la Russie. En vérité, comment lui en faire un crime ? Quand un groupe d’hommes, un groupe religieux ou national se sent menacé dans son existence et blessé dans ses droits naturels, il lui est bien permis de se défendre ; — et pour se défendre, il lui faut employer les armes à sa portée. Or, quelle autre arme que la cote les juifs d’Occident avaient-ils sous la main pour secourir les juifs de Russie ? Si, vraiment, la haute banque israélite a songé à défendre ses coreligionnaires de l’Est, je ne saurais, quant à moi, lui en faire un reproche. Je serais plutôt enclin à trouver que les riches banquiers d’Occident ont, à cet égard, montré un zèle quelque peu languissant. Ont-ils, un instant, paru menacer la

  1. Voyez notre article de la Revue the Forum, décembre 1892. Cf. la France, la Russie et l’Europe, et aussi, l’Empire des Tsars et des Russes, t. III, 1896.
  2. Il est un État sur lequel il eût été peut-être plus facile d’exercer une pression en faveur de la liberté des juifs, c’est la Roumanie. On ne voit pas que les défenseurs des israélites aient engagé contre le gouvernement roumain une guerre de Bourse. Après cela, les fonds roumains étaient cotés, récemment encore, à un taux que l’on pouvait juger inférieur à leur valeur intrinsèque, et peut-être la faute en était-elle, pour une part, aux sympathies que s’est aliénées la Roumanie par sa politique vis-à-vis de ses habitans d’origine israélite.
  3. Il est un État sur lequel il eût été peut-être plus facile d’exercer une pression en faveur de la liberté des juifs, c’est la Roumanie. On ne voit pas que les défenseurs des israélites aient engagé contre le gouvernement roumain une guerre de Bourse. Après cela, les fonds roumains étaient côtés, récemment encore, à un taux que l’on pouvait juger inférieur à leur valeur intrinsèque, et peut-être la faute en était-elle, pour une part, aux sympathies que s’est aliénées la Roumanie par sa politique vis-à-vis de ses habitans d’origine israélite.