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sorte de syndicat international, comme une façon de directoire occulte, qui tient dans ses mains le sort des nations. De notre Europe contemporaine aux passions nationales si ardentes, aux compétitions politiques si violentes, aux luttes de classes si vivaces, on a fait je ne sais quel inerte théâtre d’ignobles pupazzi dont les grands acteurs, rois, ministres, chefs de partis ne sont que de viles marionnettes, aux mains de banquiers avides, qui les font parler, mouvoir et taper, à leur gré.

Voici, par exemple, un des grands mouvemens de notre temps, celui peut-être qui a le plus d’importance pour l’avenir de la planète, le mouvement d’expansion coloniale qui entraîne, à la fois, tous les peuples de l’Europe vers les terres neuves et les contrées inexplorées. Il est des esprits assez bornés et des âmes assez basses pour n’apercevoir, dans ce grand effort du vieux monde qui doit renouveler la face de la terre, que louches manœuvres de banquiers et conspirations de spéculateurs. Si la France est allée à Tunis, au Tonkin, au Soudan, au Congo, à Madagascar, c’est, à en croire des gens qui osent se dire Français entre les Français, que nos marins et nos soldats allaient récupérer des créances douteuses, ou élargir jusqu’aux antipodes le champ de l’agiotage. Les Garnier, les Flatters, les Crampel, pour ne parler que des morts, n’auraient été que les émissaires inconsciens ou les pionniers ingénus des gens de Bourse. Certes, derrière ces entreprises exotiques, il s’est caché parfois de honteuses spéculations, de suspectes combinaisons d’argent, de répugnans trafics d’influence ; mais ces vils marchés, conclus par des politiciens dans l’ombre des couloirs de la Chambre ou dans le silence du cabinet des ministres, ont été, d’habitude, la suite et non la cause de nos expéditions coloniales.

Il y a, en Afrique, un pays où la France avait des intérêts financiers — et où la France n’a pas osé débarquer ses marins, peut-être, justement, par peur des pamphlétaires du radicalisme, de crainte de paraître servir les intérêts des capitalistes et des maisons de banque. Ce pays, c’est l’Egypte, et l’on sait si la France doit se féliciter de son abstention. Qu’on se donne la peine de relire l’histoire des trois derniers siècles, qu’on ouvre seulement les pompeux récits de l’abbé Raynal sur les conquêtes des Européens dans les deux Indes, jamais peut-être, en réalité, l’or et les hommes d’argent, la cupidité, les intérêts mercantiles, même sous leur forme la plus légitime, n’ont eu moins de part que de nos jours à l’œuvre de la colonisation.

Des mythiques nautoniers d’Argo aux barques des vikings Scandinaves et aux caravelles des conquistadores castillans, l’or a été, durant des siècles, l’aimant qui attirait au-delà des mers