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les bannerets, essayent en vain de parlementer, et Orsini, perdant patience, se laisse aller à un mouvement assez peu digne d’un prince de l’église : « Allez, pourceaux de Romains ! vous nous assommez. Vous autres, faites retirer la foule. Ah ! si je sortais d’ici avec un bâton, comme je vous jetterais dehors !… » Puis, saisissant un moment de calme, il charge l’évêque de Marseille de mander au palais Prignano et six autres prélats. Avant que ceux-ci aient eu le temps d’arriver, la foule qui se presse toujours devant la porte en demandant un pape romain, arrache à Orsini cette parole ambiguë : « Si vous n’avez pas avant vêpres un pape selon vos vœux, coupez-moi en morceaux ! » Les cris s’apaisant, les cardinaux en profitent pour se mettre à table, pendant que les prélats appelés, reçus à dîner par Guillaume de la Voulte, cherchent à deviner pourquoi on les a fait venir.

Cependant, au sortir du repas, un cardinal, ayant quelques doutes sur la validité de l’élection du matin, propose d’élire de nouveau Barthélémy Prignano ; mais le plus grand nombre proclame la chose inutile et déclare persister dans son vote. Voici d’ailleurs que le tumulte recommence au dehors, et comme Orsini, cherchant à éloigner la foule, lui crie par une fenêtre d’aller à Saint-Pierre attendre la proclamation du nouveau pontife, quelques-uns, comprenant que l’on a choisi le cardinal de Saint-Pierre, courent à la maison de Tibaldeschi pour la piller suivant l’usage. Le plus grand nombre au contraire, concluant d’un geste d’Orsini que le pape n’est pas romain, entrent en fureur et se ruent sur les portes du conclave pour les enfoncer. Un mot mal entendu exaspère encore la rage des émeutiers. Un Français qui veut les rassurer leur révèle que l’élu est l’archevêque de Bari ; mais sa prononciation étrangère fait croire qu’il s’agit du camérier Jean de Bar, parent de Grégoire XI, l’un des plus détestés parmi les Limousins. Le pusillanime évêque de Marseille livre ses clefs dès qu’il voit luire une épée. Un flot d’hommes s’engouffrant dans les portes, escaladant les fenêtres, surgissant des latrines, envahit tout à coup le conclave ; les cardinaux qui cherchent à fuir sont refoulés. Seul Pierre de Luna montre de la fermeté. Les autres, épouvantés par l’éternel cri : « Romano, Romano ! » imaginent de donner à l’émeute une satisfaction apparente. Ils s’efforcent de persuader à Tibaldeschi de se prêter à un simulacre d’intronisation, et comme le vieux cardinal refuse, des conclavistes le jettent de force sur la chaise pontificale. On lui pose une mitre blanche sur la tête, une chape rouge par-dessus ses vêtemens, et devant les Romains qui s’entassent dans l’étroite chapelle du conclave, aux accens d’un Te Deum improvisé, on le hisse sur l’autel.