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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/653

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La cause de ce complet changement, c’est qu’Urbain VI se rendit bientôt insupportable à tout ce qui l’entourait. Sans doute on ne savait pas encore, on ne sut que six ans plus tard, que cet homme conciliant pouvait se montrer à l’occasion le plus cruel des tyrans, capable de faire torturer sous ses yeux et de faire étrangler des cardinaux soupçonnés de le trahir. Mais son caractère, longtemps contenu ou longtemps dissimulé, se révéla tout autre qu’on ne l’avait cru. Cet habile manquait absolument d’adresse ; cet humble était un orgueilleux qui trouva moyen d’offenser par ses hauteurs ceux qui, comme la reine Jeanne de Naples, s’étaient le plus sincèrement réjouis de son élévation ; ce pacifique était un agité, tourmenté d’idées de réformes. Sans doute plusieurs de ces réformes semblent justes : telles étaient, par exemple, celles qui consistaient à obliger les cardinaux à retrancher de leur luxe, à réparer à leurs frais les basiliques dont ils portaient le titre, à renoncer aux pensions qu’ils recevaient des souverains ; mais elles ne pouvaient être que mal accueillies par le sacré-collège. Quand on sait, en outre, de quelles violences était accompagné l’ordre de les exécuter ; quand on voit que le prieur des cardinaux s’entendait traiter de fou, et Robert de Genève, de ribaud ; que d’autres étaient publiquement accusés de crimes ou de malversations ; qu’en plein consistoire le cardinal de Limoges évitait à peine un soufflet de la propre main de Sa Sainteté, on conçoit facilement que ceux qui avaient été en butte à de semblables brutalités aient été trop heureux de trouver, dans les scènes tumultueuses au milieu desquelles ils avaient élu cet étrange pontife, quelque moyen de s’en défaire.

L’âme du mécontentement était Jean de la Grange, évêque d’Amiens, qui passait à tort ou à raison pour être l’homme du roi de France. Ce cardinal ne s’était pas trouvé à Rome lors du conclave, et il gardait certains doutes sur la légitimité d’Urbain VI, dont la personne lui déplaisait d’ailleurs. Cependant, dès son arrivée, le 26 avril, il n’hésita pas avenir baiser le pied du saint-père, et même, lorsqu’il fut à son tour l’objet d’une de ces sorties auxquelles personne n’échappait, sa réponse contenait un acte de reconnaissance implicite d’autant plus significatif que les termes en étaient moins ménagés : « Vous êtes maintenant pape ; je ne puis pas vous répondre. Si vous étiez encore le petit archevêque de Bari, je dirais à ce petit archevêque qu’il en a menti par sa gorge. »

Le premier à se rapprocher du cardinal d’Amiens fut Robert de Genève ; tous deux encouragèrent le commandant du château Saint-Ange à ne point livrer cette forteresse au saint-siège. Puis