cerveau et la sensibilité par l’entendement. On se lasse de voir et d’admirer les aspects extérieurs des choses sans rien connaître de leur structure, de leur histoire, de leurs désirs ou de leurs symboles. Lorsque vous êtes sur des montagnes où la flore est riche et variée, et qu’à chaque pas, dans les pierriers, sur les hauts plateaux, dans les fentes des rochers calcaires, dans les combes humides et le long des gaves, vous rencontrez des corolles que ne désigne point l’étiquette gourmée des expositions d’horticulture, vous ne voulez pas seulement voir, mais savoir, et si, pour le pur artiste, il y a bien quelque charme à cheminer parmi des plantes et des fleurs sans en connaître autre chose que ceci quelles sont belles, comme à passer dans un salon plein d’élégantes inconnues, — cependant, le passant d’ordinaire aime à s’informer. Parmi toutes ces anonymes beautés, vous regrettez de n’avoir aucun botaniste à vos côtés pour mettre des noms sur les figures des fleurs et sous leurs formes, des idées. La vue est satisfaite : elle a joui longuement, la fleur va tomber des doigts si l’intelligence n’y trouve sa pâture. Mais l’esthéticien, caché au détour d’un rocher, paraît et parle :
Aucune tribu de fleurs n’a eu une aussi grande, aussi variée et aussi saine influence sur l’homme, que ce grand groupe des Drosidae, influence résultant non tant de la blancheur de quelques-unes de leurs fleurs ou de l’éclat des autres que de cette forte et délicate substance de leurs pétales, qui leur permet de prendre des formes d’une inflexion élastique impeccable, soit en coupes comme le safran, soit en clochettes épanouies comme le vrai lis, soit en clochettes semblables à la bruyère, comme la jacinthe, soit en étoiles brillantes et parfaites, comme l’épi de la Vierge, ou bien, lorsque ces fleurs sont affectées par l’étrange reflet de la nature du serpent, qui forme le groupe labié de toutes les fleurs, se résolvant dans des formes d’une symétrie gracieusement fantastique, dans le glaïeul. Placez à leur côté, leurs sœurs Néréides, les nénuphars, et vous aurez en elles l’origine des formes les plus exquises du dessin ornemental, et les mythes floraux les plus puissans qu’aient jamais connus jusqu’ici les esprits humains, parus sur les bords du Gange ou du Nil, de l’Arno ou de l’Avon.
Considérez, en effet, ce que chacune de ces familles a signifié pour l’esprit de l’homme. D’abord, dans leur noblesse, les lis ont donné le lis de l’Annonciation ; les asphodèles, la fleur des Champs-Elysées ; les iris, la fleur de lis de la chevalerie et les Amaryllidées « le lis des champs » du Christ ; tandis que le jonc, toujours foulé aux pieds, devient l’emblème de l’humilité… « Les lis de toutes les espèces formant la couronne impériale de Perdita », forment la première tribu ; qui, donnant le type de la pureté parfaite dans le lis de la Madone, ont influencé par leur forme charmante tout le dessin décoratif de l’art religieux italien ; tandis que l’ornement de guerre fut continuellement enrichi par les courbes des triples pétales du giglio florentin et de la fleur de lis française, de telle sorte qu’il est impossible de mesurer leur influence pour le bien au moyen âge, en partie comme symbole du caractère de la femme, et en partie comme symbole de la splendeur