L’abîme de l’air qui enveloppe la terre, outre en union avec la terre à sa surface et avec ses eaux, de telle sorte qu’il semble la cause de leur ascension dans les choses vivantes. D’abord, l’air les échauffe et aussi les ombrage, en maintenant la chaleur des rayons solaires dans son propre corps, mais en atténuant leur puissance avec ses nuages. Il chaude et rafraîchit à la fois, avec ses échanges de zéphyrs et de gelées, de telle façon, que les blanches guirlandes des champs du paysan suisse sont fondues par le rayonnement des rochers de Libye.
Il donne à la mer sa propre force ; forme et remplit chaque cellule de son écume, soutient les précipices et dessine les vallées de ses vagues, leur donne l’éclat alors qu’elles se meuvent sous la nuit et le feu blanchâtre à leurs plaines sous le soleil qui se lève ; il porte leurs voix le long des rochers, porte au-dessus d’elle une écume d’oiseaux, dessine par elle les fossettes des sables qu’aucun pied n’a touchés.
Il en retire une partie dans le creux de sa main, teint avec cela les collines d’un bleu sombre et leurs glaciers d’un rose mourant, incruste de saphir, avec cela, le dôme dans lequel il a un nuage à placer ; forme de cela les troupeaux célestes, les divise, les dénombre, les caresse, les porte dans son sein, les appelle à leurs voyages, veille sur leur repos, nourrit d’eux les ruisseaux qui ne tarissent point et les rosées qui sont intermittentes.
Il brode et tisse leur toison en une tapisserie fantastique, la déchire et la recommence, et voltige et flamboie, et chuchote parmi les fils d’or, la faisant frémir avec un plectre d’un feu étrange qui les traverse et les retraverse et est contenu en elles comme la vie.
Il pénètre dans la surface de la terre, la subjugue, tombe avec elle en une poussière féconde dont la chair peut être pétrie ; il s’unit dans la rosée à la substance du diamant et devient la feuille verte qui sort du terrain sec ; il entre dans les formes séparées de la terre qu’il a tempérée, commande au flux et au reflux du courant de leur vie, remplit leurs membres de sa propre légèreté, mesure leur existence par son impulsion intérieure, moule sur leurs lèvres les mots par lesquels une âme peut se faire connaître d’une autre âme, est pour elles l’entendement de l’oreille et le battement du cœur et, les quittant, les laisse à la paix qui n’entend, ni ne se meut plus[1]…
Quelque chose pourtant manquerait encore si Ruskin tenait tout entier dans cet amas d’idées et d’images, et si, une fois l’intelligence rassasiée et l’imagination débordante, il nous laissait là ou bien réordonnait éternellement cette même fête pour l’imagination et ce même repas pour l’intelligence. D’autres aussi ont su mêler, dans leur critique, les aspects sensibles aux aspects abstraits et reposer de ceux-ci par ceux-là. D’autres ont peint en pensant et ont pensé en peignant, ont nourri leur poésie du sens caché de la nature et paré la science des charmes visibles de sa beauté. Mais il arrive un moment où ce dilettantisme habile, après avoir récréé par sa diversité, fatigue par sa sécheresse. Des couleurs qui passent, des idées qui se jouent, des points de vue qu’on
- ↑ The Queen of the Air.