calculs, les caricatures aux essais sur l’aviation, et la mécanique aux paysages. Comme Léonard, Ruskin a senti, en toutes choses, la beauté de la science et cherché à constituer, en toute occasion, la science de la beauté. A l’entendre, on doute parfois s’il a vécu dans les musées plutôt que dans les laboratoires ; on se le figure volontiers tel que M. Edelfelt représenta un jour M. Pasteur : le regard et la pensée fortement attachés à un bocal qu’il manie au jour clair des cliniques. Et l’on ne s’étonne plus que sir John Lubbock, interrogé sur la question de savoir si Ruskin était comparable à Gœthe, répondit qu’assurément il avait fait beaucoup plus pour la science, et que, sans prétention à une connaissance profonde, il avait montré un extraordinaire don naturel d’observation : car toutes ses paroles sont pleines des préoccupations que donnent les découvertes de la science contemporaine et comme nourries et débordantes de ses enseignemens.
Qu’elles soient plus pleines encore de préoccupations sociales, c’est ce que nous avons noté dès le premier regard jeté sur les formes extérieures de sa pensée. Outre ceux de ses ouvrages qui traitent expressément d’économie politique, il en est beaucoup d’autres qui y touchent par quelque côté. Bien rarement l’esthéticien a pu écrire tout un chapitre sur l’art sans que le souvenir des êtres humains « qui ont de fortes objections à écouter une conférence sur les mérites de Michel-Ange lorsqu’ils ont faim et froid », ne soit venu troubler sa sérénité. Dans toutes ses paroles, il est l’homme qui de l’hôtel Danieli, à Venise, écrivait ces mots dans Fors Clavigera :
Voici une petite coquille de bucarde grise posée devant moi, que j’ai ramassée l’autre jour dans la poussière de l’île Santa-Helena et une coquille de limaçon brillamment tachetée, tirée des sables arides du Lido, et je voudrais me mettre à les dessiner et à les décrire en paix. Oui, et tous mes amis me disent que c’est là mon affaire. Pourquoi ne puis-je penser à cela et être heureux ? Mais hélas ! mes prudens amis, trop peu de toutes les choses auxquelles j’ai à penser me sont permises, car ce flot verdâtre qui passe en tourbillonnant devant mon seuil est plein de cadavres qui flottent et je dois laisser mon dîner pour les ensevelir, puisque je n’ai pu les sauver et mettre mon coquillage à mon chapeau et prendre mon bourdon à la main pour chercher quelque rivage qui ne soit pas encombré encore !
Il y a vingt ans que ces paroles furent écrites. Aux dilettantes qui voyageaient, cet hiver-là, en Italie, elles eussent semblé incompréhensibles. On les comprend maintenant, ou du moins, on devine leur sens douloureux et profond. On ne s’étonne plus de voir un touriste prendre garde aux êtres vivans et souffrans des pays qu’il traverse autant qu’aux pierres des monumens. Et s’il ajoute que « c’est la plus vaine des affectations que d’essayer