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à la fois. Un nouveau duel de la France et de l’Allemagne ! Capitalistes et rentiers ne sauraient redouter calamité plus effroyable. S’il se trouvait des « cosmopolites » assez inhumains, ou assez égoïstes, pour s’en réjouir, ce serait moins dans les rangs de « l’Internationale de l’or » que dans ceux de l’Internationale rouge. Que si, dans la haute banque, parmi ces financiers traités de sans-patrie, il se rencontrait quelque génie assez téméraire, quelque Charles XII ou quelque Napoléon de la Bourse, assez infatué pour envisager d’un œil sec pareil bouleversement et se promettre d’édifier plus haut sa fortune sur la ruine d’autrui, il est une chose, aujourd’hui, qui retiendrait les plus audacieux, leurs millions eussent-ils assez de poids pour faire pencher la balance, — c’est la perspective du service obligatoire universel. Les fils de banquiers seraient tenus de porter le mousquet, tout comme les fils d’ouvriers. Et s’ils avaient la malchance d’être pris de maladie, ces fils de banquiers auraient peut-être plus de peine à se faire réformer que le fils du dernier paysan. Les riches, sac au dos ! telle est la consigne du jour. Que la guerre éclate, et en face de l’ennemi, millionnaire ou prolétaire, c’est tout un. Et, ici, nous retrouvons de nouveau, quoi qu’en pensent antisémites ou anticapitalistes, le pouvoir de l’argent en baisse. Le temps où l’on s’achetait un homme est passé ; la chair à canon n’est plus marchandise tarifée ; il faut se battre, il faut se faire tuer en personne. Eussiez-vous un milliard, il ne vous est plus permis de payer un pauvre diable pour se faire casser la tête à votre place. C’était le plus choquant, et c’était en réalité, peut-être, le seul privilège des riches. Nos sociétés bourgeoises, tant accusées de légiférer pour les riches, l’ont abrogé d’elles-mêmes. C’est un grand coup porté à Mammon, — et une raison de plus, pour lui, d’aimer la paix.

Ils se moquent ceux qui osent nous désigner la banque cosmopolite et l’« Internationale jaune » comme les arbitres de la paix et de la guerre. Si grande qu’on suppose la vertu de l’or, ce sont là choses en dehors du cercle de son pouvoir. S’il n’y avait que la finance et les millionnaires pour mettre les peuples aux prises, l’ère de la paix universelle serait déjà ouverte[1]. Laissons ces fables. La guerre et la paix ne sont pas dans les mains de la haute banque ; autrement, l’Europe ne ressemblerait pas à un camp bastionné, et les milliards engloutis, chaque année, par le budget des armées se répandraient, librement, à la joie et au profit des hommes d’affaires, sur les champs de l’industrie et du commerce.

  1. De fait, plus d’un banquier d’Europe et d’Amérique s’est montré épris de la paix perpétuelle ; quelques-uns ont rédigé des projets pour l’établir. Ainsi notamment Isaac Pereire : la Question religieuse.