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Ce qui nous a détournés plutôt de nos préoccupations habituelles, et a fait trêve pour un moment à nos dissentimens intérieurs, c’est l’élan de cordialité avec lequel la France a pris part aux fêtes de Moscou. Nous ne parlons pas seulement de la participation officielle de notre gouvernement aux solennités dont le couronnement du tsar a été accompagné, mais de celle de l’opinion tout entière. Nos journaux sont remplis de télégrammes et de correspondances qui relatent tous les détails de ces imposantes cérémonies : ils sont lus avec un intérêt où il faut voir autre chose que la curiosité. Sans doute l’éclat de ces fêtes, et ce qu’elles ont de rare et d’original, est bien fait pour frapper les imaginations, mais ce ne sont pas seulement les imaginations qui ont été frappées chez nous. Nous nous sommes associés en toute sincérité aux espérances avec lesquelles la Russie a accueilli le nouveau règne, espérances dont quelques-unes sont déjà réalisées. Comme on l’a fait remarquer, le règne de Nicolas II a bien commencé. La politique extérieure de la Russie, dirigée par un ministre expérimenté, a atteint en quelques mois des résultats significatifs. La situation du grand empire du Nord s’est heureusement modifiée et améliorée, non seulement en Europe, mais en Asie, non seulement dans les Balkans, mais en extrême Orient. S’il est vrai que son entente avec la France ait très utilement aidé le gouvernement du tsar dans les succès qu’il a obtenus, nous ne pouvons que nous en féliciter. Peut-être notre propre gouvernement, surtout pendant six mois de ministère radical, n’a-t-il pas tiré de l’alliance franco-russe des avantages aussi appréciables, mais nous ne pouvons en faire de reproches qu’à nous-mêmes. Il n’est d’ailleurs question ici que de ces avantages au jour le jour qu’une politique avisée poursuit sans cesse et atteint quelquefois. Une alliance forte et solide permet d’intervenir dans les affaires générales avec une autorité plus grande, et aussi de résoudre plus aisément et plus heureusement les questions quotidiennes avec lesquelles la diplomatie est sans cesse aux prises. Mais en dehors et au-dessus de ces intérêts secondaires, quelque appréciables qu’ils soient, il en est un autre auquel nous sommes plus particulièrement attachés, c’est celui de la paix maintenue sans faiblesse et sans jactance, avec honneur et avec dignité. Le service principal que l’alliance de la Russie et de la France rend non pas seulement à chacune de ces deux nations, mais au monde, est de servir de garantie à la paix, précisément dans ces conditions.

Il serait peut-être injuste de dire que sans cette alliance la paix aurait été certainement troublée, puisqu’elle a pu subsister auparavant pendant de longues années ; mais, bien qu’elle ait duré alors, elle semblait toujours instable et précaire. Elle dépendait d’une volonté unique, et si cette volonté a été généralement sage et prudente, plus d’une fois aussi elle s’est montrée nerveuse à l’excès, inquiète,