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exigeante et même brutale. Il a fallu, pour que la paix du monde ne fût pas troublée, une sagesse plus grande encore et une patience infiniment méritoire de notre part. Cette période de l’histoire semble close. Nous sommes entrés dans une autre où les diverses puissances apportent plus de ménagemens dans leurs rapports réciproques, et il y a tout lieu de croire que le rapprochement intime de la France et de la Russie a contribué pour beaucoup à amener cet heureux changement. La paix en paraît à la fois plus solide et plus libre. Elle n’est plus imposée, mais consentie. Elle ne provient plus de la disproportion, mais de l’égalité apparente des forces. L’Europe s’est sentie débarrassée d’une sorte d’oppression, et comme celle-ci pesait plus particulièrement sur nous, on comprendra que nous ayons été plus sensibles à sa disparition. Voilà pourquoi nous avons salué avec une respectueuse sympathie l’empereur Nicolas II à l’occasion de son couronnement, et nous avons pris part à la joie de la Russie. Les fêtes de Moscou ont eu un véritable écho dans toute la France : il nous semblait n’y être pas tout à fait étrangers. Ce ne sont là que de courts momens dans la vie des peuples ; ils passent vite, et le lendemain on est repris par la préoccupation des affaires courantes et par le souci du labeur journalier ; ils laissent, toutefois, des souvenirs précieux et réconfortans. Paris a fêté le couronnement du tsar. Beaucoup d’autres villes de France ont tenu à s’associer aux mêmes sentimens : ils sont ceux du pays tout entier.


Les sentimens que nous éprouvons pour l’Italie ne peuvent pas être tout à fait les mêmes : cependant nous ne cessons pas d’étudier ses affaires avec un intérêt tout amical. La politique de bon sens et de fermeté de M. di Rudini a déjà produit de très heureux effets. Bien que la paix ne soit pas encore conclue avec le négus, on peut regarder la guerre comme terminée. Pourquoi recommencerait-elle l’automne prochain, si les Italiens restent chez eux, c’est-à-dire en Erythrée ; et pourquoi en sortiraient-ils puisque, grâce à l’énergie du général Baldissera, on leur a rendu leurs prisonniers ? Ils ont obtenu, en somme, tout ce qu’ils pouvaient désirer, tout ce qui était dans le programme de M. di Rudini. Ils ont réparé par de brillans succès militaires les échecs qu’ils avaient d’abord éprouvés. Ils ont réussi à dégager et à délivrer Adigrat. Que leur reste-t-il à faire, sinon à se donner une frontière politique, en se ménageant des intelligences avec un certain nombre de ras disposés à servir de tampons et d’intermédiaires entre l’Ethiopie et l’Erythrée ? C’est là une œuvre toute diplomatique, qui peut être poursuivie et le sera sans doute pendant la saison des pluies. Lorsque cette saison prendra fin, il importera sans doute assez peu que la paix ait ou n’ait pas été signée d’avance ; elle sera faite, elle sera dans la nature et dans la force des choses, et si l’Italie persiste dans