de leur caractère propre, sans cesser un seul instant d’être eux-mêmes, échapper à tous les dangers, survivre à toutes les catastrophes, se relever toujours plus solides, et jouer, avec des fortunes et sous des formes sans cesse renouvelées, un rôle aussi considérable dans l’histoire du monde. Dans les périodes les plus critiques, ils ont rendu à l’Europe un service inappréciable : ils ont arrêté le flot envahissant des armées turques. Ils ont eu des héros dont le nom est resté populaire et même légendaire. Ils ont eu de très grands rois, sans compter des saints, qui ont été les champions éclairés de la civilisation occidentale et chrétienne. Enfin, on trouverait difficilement sur un point quelconque de l’univers une nation qui, avec des forces matérielles aussi faibles, soit parvenue tantôt par la guerre et tantôt par la politique, à faire presque sans interruption d’aussi grandes choses. Encore aujourd’hui, tout le monde sait que la Hongrie ne s’est pas contentée de maintenir son autonomie distincte et sa parfaite indépendance sous le sceptre de François-Joseph, empereur à Vienne et roi à Buda-Pesth, mais encore qu’elle s’est emparée de l’influence prépondérante dans la direction des affaires extérieures de l’empire. Si l’Autriche-Hongrie est si profondément engagée dans la triple alliance, c’est en grande partie à la vieille rivalité qui existe entre l’élément magyar et l’élément slave qu’il faut en chercher la raison. Il est vrai que les Magyars ont été autrefois presque aussi souvent en lutte contre les Allemands que contre les Slaves, mais depuis que l’Autriche a été mise en dehors de l’Allemagne, le danger pour eux n’est plus de ce côté. Ils veulent être les maîtres, et en réalité ils le sont.
Dans cette lutte continuelle qu’ils ont eu à soutenir depuis mille ans et dont ils sont sortis victorieux, les Magyars ont singulièrement développé leur patriotisme. Dans aucune autre nation la vie politique n’est plus intense que chez eux. Comment n’en serait-il pas ainsi puisque, s’il en était autrement, il y a de longues années déjà que la Hongrie aurait disparu ? Aussi, lorsque l’occasion se présente comme aujourd’hui de célébrer une grande fête nationale, chacun s’y porte-t-il avec une ardeur extrême. Il n’est plus question d’autre chose. Toutes les autres affaires sont suspendues. Les partis, et Dieu sait s’ils sont ardens les uns contre les autres ! se réconcilient pour un moment dans une passion commune qui domine toutes les autres. On remet à plus tard ce qui pourrait diviser. La Hongrie, ou du moins l’élément magyar en Hongrie, vit exclusivement dans l’enthousiasme que provoquent les manifestations destinées à célébrer le millénaire. Il y en a de tous les genres, qui se rapportent les unes à la vieille Hongrie, les autres à la Hongrie moderne et contemporaine. On ressuscite les souvenirs d’un glorieux passé, et on inaugure le palais du Parlement. On déploie les merveilles d’une exposition où tout est mêlé et confondu dans une apothéose générale. Comment ne pas accorder une large et