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sincère estime à un peuple qui fait si bien les choses et qui, en somme, quelque brillantes qu’aient été ses destinées, n’a jamais rien dû qu’à lui-même ? Beaucoup d’autres pourraient trouver là un exemple. Toutefois, il n’y a pas de médailles sans revers, et après avoir été justes pour les Magyars, nous ne le serions pas pour les autres nationalités de l’empire, ni même pour d’autres nations voisines, si nous ne disions pas qu’elles ont d’assez bonnes raisons de ne pas s’associer aux fêtes de Pesth. Si l’histoire a rendu très ardent le patriotisme des Magyars, il l’a rendu aussi très exclusif. Les nécessités de la lutte pour la vie développent chez ceux qui les subissent des qualités très énergiques, mais qui tournent facilement à l’esprit de domination. Les Magyars forment une race gouvernante dans tous les sens du mot. Satisfaits de la situation qu’ils se sont assurée, ils n’ont pas de préoccupation plus grande que d’empêcher les autres de marcher sur leurs traces et d’atteindre à côté d’eux le même but. Le parti tchèque en Bohême n’a pas d’adversaire plus résolu que la Hongrie. Les populations slaves ou roumaines qui font partie de la Transleithanie subissent le joug, mais en protestant contre ce qu’il a de lourd et d’écrasant. En Serbie et en Roumanie, à Belgrade et à Bucarest, dans la première de ces villes surtout, des manifestations bruyantes ont eu lieu contre les prétentions à l’hégémonie du groupe magyar. Il est certain que si les Magyars ont quelque chose de l’impérialisme des vieux Romains, ils n’ont pas au même degré qu’eux le sens élevé du gouvernement. Ils sont plus chevaleresques que généreux, plus intelligens que tolérans, épris de liberté pour eux, mais volontiers jaloux de la liberté des autres. La sympathie qu’ils inspirent, quelque profonde qu’elle soit, ne va donc pas sans quelques réserves. Ils sont restés une nationalité distincte et dominante au milieu de plusieurs autres, dont ils n’ont pas su faire une nation véritable, et là est la limite de l’admiration qu’ils méritent. Cette admiration n’en reste pas moins très vive, et lorsqu’on se rappelle tout ce qu’a fait autrefois la Hongrie, lorsqu’on constate ce qu’elle est encore en ce moment. il faut bien reconnaître qu’il y a en elle quelque chose de puissant. C’est à ce titre que le millénaire qui se célèbre à Pesth ne saurait laisser l’Europe indifférente.


FRANCIS CHARMES. Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.