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contre lesquelles toutes les coalitions de banquiers ne sauraient prévaloir. La haute banque en est bien innocente. Si le métal blanc a contre lui la « banque juive », il a pour lui les syndicats américains, les silvermen de l’Ouest, les propriétaires des mines du Nebraska ou du Colorado, gens à révolutionner les deux mondes pour placer leurs lingots et faire monter leurs mines. Car il s’en faut que toute la « moderne féodalité financière » soit du côté de l’or. Dans cette sorte de guerre civile du royaume de Mammon, nombre de Crésus transatlantiques, souvent les plus puissans et les moins scrupuleux, défendent les bannières de l’argent. Nos naïfs antisémites de France ou d’Autriche en ont-ils conscience, lorsqu’ils luttent pour le double étalon, croyant faire pièce aux rois de l’or de l’Europe ? savent-ils, seulement, qu’ils travaillent pour les rois de l’argent, les silver-kings d’outre-mer ? Et à la différence des champions du métal blanc, qui, en combattant pour le dollar d’argent, bataillent pour leurs mines, partant pour leur poche, la haute banque de l’Europe est, personnellement, désintéressée dans la lutte. Est-il vrai que ses préférences sont pour l’or, c’est qu’elle sait, par expérience, les avantages, pour tous, d’une monnaie saine, sound money, comme disent les Anglais. Si, pour enrichir les rois de l’argent de l’outre-Mississipi, la France avait l’ingénuité de revenir à la libre frappe du métal blanc, elle verrait louis et napoléons émigrer chez des peuples mieux avisés, pour faire place, dans nos caisses, à des écus dépréciés. Admirable incohérence des adversaires de l’or : ils attribuent aux manœuvres intéressées de la haute banque le triomphe du louis d’or sur la pièce de cent sous ; et quelle est la promesse que font les ligues bimétallistes aux producteurs des villes et des campagnes ? c’est que la victorieuse rentrée de l’argent à l’hôtel des Monnaies fera hausser les prix ; comme si le relèvement des prix ne devait pas être à l’avantage de ce que ses adversaires de tout ordre appellent « la classe capitaliste. »

Est-ce tout ? Sommes-nous au bout des méfaits imputés à la haute banque cosmopolite ? Non vraiment, puisque les journaux populaires la rendent, chaque jour, responsable de tous les événemens de la vie politique ou économique. Un État vient-il à décréter le cours forcé du papier ? c’est sur l’injonction de la haute banque et des juifs. Un État veut-il, pour revenir à la circulation métallique, sortir de la monnaie fiduciaire ? c’est encore afin de plaire à la haute banque juive. Pour un certain public, pour une certaine presse, c’est la haute banque et les juifs qui machinent tout, qui conduisent tout, — et naturellement, quoi qu’ils fassent, ils ont tort.

Autre exemple : un peuple incline-t-il à la liberté